(Kuala Lumpur) Les Malaisiens ont voté en masse samedi lors de législatives anticipées de plus de dix mois, un scrutin sur lequel mise le gouvernement, éclaboussé par un vaste scandale de corruption et coude à coude avec l’opposition, pour asseoir sa légitimité dans ce pays d’Asie du Sud-Est.

Le chef de l’opposition, Anwar Ibrahim, qui a fait campagne sur le thème de la lutte contre la corruption, s’est déclaré « prudemment confiant » sur le fait que sa coalition obtienne la majorité simple au Parlement, qui compte 222 membres.

« Une victoire aujourd’hui serait certainement gratifiante après plus de deux décennies de lutte pour gagner le cœur et l’esprit du peuple », a-t-il déclaré à l’AFP avant de voter dans l’État de Penang.

« Soyons clairs : ce serait une victoire pour le peuple », a-t-il ajouté.

De longues files d’attente s’étaient formées devant les bureaux de vote samedi, malgré les risques de pluies de mousson, laissant entrevoir une forte participation des 21 millions d’électeurs inscrits.

À 16 h (3 h), deux heures avant la fermeture des bureaux de vote, la participation était de 70 %, selon les autorités.

Sur les réseaux sociaux, on pouvait voir des personnes attendre devant un bureau de vote de l’eau jusqu’aux genoux, dans l’état de Sarawak sur l’île de Bornéo.  

Nurul Hazwani Firdon, une professeure de 20 ans, a dit avoir pensé en priorité à l’économie en allant voter.

« Je veux un gouvernement fort et une économie stable afin qu’il y ait plus d’emploi pour les jeunes », a-t-elle déclaré.

Mohamed Ali Moiddeen, 60 ans, ramasseur de ferraille, veut simplement un gouvernement honnête.

« Nous voulons simplement quelqu’un qui soit digne de confiance et capable de faire le travail correctement », a-t-il expliqué.

Paysage fragmenté

Depuis quatre ans, cette monarchie parlementaire est secouée par des turbulences politiques et une valse des gouvernements qui ont conduit trois premiers ministres à se succéder en quatre ans.

Après plus de soixante ans aux commandes, le parti historiquement dominant, l’Organisation nationale unifiée malaise (Umno), a été lourdement sanctionné dans les urnes et évincé du pouvoir en 2018, marquant la première alternance de l’histoire du pays.

Le premier ministre de l’époque Najib Razak, impliqué dans le détournement de plusieurs milliards de dollars du fonds souverain 1MDB, purge actuellement une peine de douze ans de prison.

L’Umno n’est revenu aux affaires qu’avec une faible majorité en 2021, profitant des luttes entre les deux gouvernements qui lui avaient succédé.

Et c’est dans l’espoir de renforcer son emprise sur le pouvoir que le premier ministre Ismail Sabri Yaakob a dissous le Parlement et convoqué des élections anticipées, initialement prévues en septembre 2023.

Non sans avoir subi des pressions d’une faction de son parti qui espère ressortir gagnant du scrutin de samedi, avec 222 sièges parlementaires en jeu.

« J’espère que les électeurs choisiront un gouvernement qui peut leur garantir sécurité et stabilité », a-t-il indiqué à des journalistes après avoir voté dans la ville rurale de Bera (centre), dans l’État de Pahang.

Mais même si l’Umno bénéficie de la mécanique bien huilée du parti historiquement dominant, son image pâtit de son association avec une vaste affaire de corruption.

Le scandale du fonds 1MDB, qui porte sur des détournements à grande échelle du fonds souverain - vers, entre autres, le compte en banque de Najib Razak-qui devait contribuer au développement du pays, a déclenché des enquêtes aux États-Unis, en Suisse et à Singapour, où des institutions financières auraient été utilisées pour blanchir des milliards de dollars.

Certains observateurs craignent de voir l’Umno, si le parti revient au pouvoir, œuvrer pour obtenir la libération de Najib Razak et pour empêcher des poursuites pour corruption visant plusieurs autres membres du parti, dont son président Ahmad Zahid Hamidi.

« Si l’Umno gagne, on peut craindre que le droit ne soit pas respecté dans la condamnation de Najib Razak », a relevé Bridget Welsh de l’Université de Nottingham en Malaisie.

« En pratique, les électeurs vont décider si Najib Razak et le président de l’Umno doivent être punis pour les accusations qui pèsent contre eux », dit-elle.

Dans l’affirmative, les Malaisiens pourront choisir de donner leurs bulletins au leader de l’opposition Anwar Ibrahim, un vétéran de l’alliance Pakatan Harapan, dont ce pourrait être la dernière chance de diriger un gouvernement.

Il a été incarcéré deux fois pour sodomie, un crime en Malaisie à majorité musulmane, mais il a toujours clamé son innocence, parlant de son emprisonnement comme d’une persécution politique.

Selon les analystes, le pays risque de connaître une nouvelle instabilité politique si aucune coalition ne remporte une majorité claire.