Petite déflagration, lundi, au Parlement australien. Au moment de prêter serment d’allégeance à la Couronne britannique, une sénatrice autochtone a qualifié la reine de « colonisatrice », provoquant des protestations parmi ses collègues. Un coup d’éclat qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des médias internationaux.

Membre du Parti vert australien, Lidia Thorpe s’est avancée en Chambre pour être assermentée, le poing en l’air, à la manière des Black Panthers, avant de larguer sa bombe.

Moi, souveraine Lidia Thorpe, affirme et déclare solennellement et sincèrement que je serai fidèle, et que je porte une véritable allégeance à la colonisatrice Sa Majesté la Reine Élisabeth II.

Lidia Thorpe, membre du Parti vert australien et femme issue des communautés aborigènes Djab Wurrung et Gunnau-Gunditjmara

La présidente du Sénat, Sue Lines, a immédiatement interrompu Mme Thorpe, lui demandant de relire le texte tel qu’il était « écrit sur la carte », tandis que des grognements de désapprobation se faisaient entendre dans la Chambre.

Dans la vidéo qui circulait lundi sur le web, on peut clairement entendre une collègue lui lancer : « Vous n’êtes pas sénatrice si vous ne le dites pas correctement. »

Mme Thorpe a ensuite relu la formule, conformément mais de mauvaise grâce, en appuyant avec sarcasme sur les mots « fidèle » et « véritable allégeance ».

Visionnez la vidéo de la prestation de serment de Lidia Thorpe (en anglais)

Comme pour s’assurer que son message était clair, la femme politique et militante des droits des aborigènes est revenue sur l’incident en écrivant sur Twitter que la « souveraineté » (du territoire australien) n’avait « jamais été cédée », une position adoptée plus généralement par les Verts australiens.

Sur son site, le parti souligne que « ce pays a été envahi » et que ses Premières Nations ont été « violemment dépossédées ».

Enchâssé dans la Constitution

Le geste d’insoumission de Mme Thorpe s’inscrit dans le mouvement de « décolonisation des esprits » qui s’impose depuis quelques années dans le monde.

Si certains peuvent y voir une forme de provocation, le philosophe et essayiste Alain Deneault s’empresse de souligner que l’« écart » de Mme Thorpe était en fait une remarque objective, considérant que l’Australie est un produit de la colonisation britannique et demeure, comme le Canada, une monarchie constitutionnelle.

« Il s’agit d’une description », explique l’auteur de Bande de colons, un livre sur la colonisation britannique au Canada. « Cette dame est contrainte de prêter allégeance à une tutelle pour pouvoir exercer son métier de sénatrice. Elle prend acte de son geste en explicitant de quoi il s’agit. »

Alain Deneault concède qu’il y a là un statement, une prise de position.

Mais c’est une déclaration politique qui repose sur un fait historique. Ce n’est pas comme si elle avait insulté la reine. La monarchie britannique n’est rien d’autre qu’une instance coloniale et ne peut pas être décrite autrement. Ce qu’elle a dit est donc politiquement fondé et parfaitement recevable.

Alain Deneault, philosophe et essayiste

Pour Philippe Lagassé, politologue et professeur à l’Université Carleton, cet incident fait d’autant plus réagir en Australie que l’allégeance à la reine n’est plus requise dans d’autres contextes officiels, tels que l’obtention de la citoyenneté australienne.

Le problème est qu’il faudrait amender la Constitution pour que cette formulation soit abandonnée ou laissée au libre arbitre de chacun.

« Si c’était uniquement une procédure parlementaire, on serait en mesure de faire des exceptions. On pourrait trouver, en principe, une autre façon d’accommoder cette sénatrice », explique M. Lagassé.

Étant donné que c’est un article de leur Constitution, ça va au-delà des procédures de la Chambre en tant que telles. C’est pour cette raison qu’on est obligés de lui prêter serment de cette façon.

Philippe Lagassé, politologue et professeur à l’Université Carleton

L’expert suggère que des changements constitutionnels pourraient toutefois survenir après la mort de la reine, considérant la « force des sentiments républicains » au pays des kangourous.

L’Australie a tenu un référendum pour devenir une république en 1999. Le Non l’avait emporté à 55 % contre 45 %.

Le nouveau premier ministre australien, Anthony Albanese (centre gauche), s’est pour sa part empressé de nommer un « ministre de la République », dès son élection à la fin de mai.

« Je soutiens une république », a confirmé Albanese à CNN, dimanche dernier. Il a cependant précisé que la priorité de son gouvernement serait un référendum sur la reconnaissance des Premières Nations dans la Constitution australienne…

En savoir plus
  • 1901
    Année de l’indépendance de l’Australie, après 100 ans de domination britannique
  • De 11 000 à 14 000
    Nombre d’aborigènes tués pendant la colonisation britannique en Australie
    Source : Guardian Australia/Colonial Frontier Massacres Project