(Tokyo) L’assassinat de l’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe par un homme plein de rancœur contre l’Église de l’Unification, surnommée « secte Moon », a fait ressurgir au Japon des controverses anciennes sur ce groupe religieux cultivant des relations politiques.

Tetsuya Yamagami, l’assassin présumé de M. Abe, arrêté immédiatement après les faits le 8 juillet, en voulait d’après la police à une « certaine organisation » connectée selon lui à l’ancien premier ministre.

Les médias locaux l’ont rapidement identifiée comme étant l’Église de l’Unification. La mère du suspect est une fidèle.

Après le suicide de son mari, Mme Yamagami a rejoint cette Église dans les années 1990 et aurait rapidement été obsédée par sa nouvelle foi.

Un oncle de M. Yamagami a confié aux médias nippons que son neveu l’appelait à l’aide quand il était petit, parce que sa mère laissait ses trois enfants seuls et sans nourriture pour assister au culte.

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Tetsuya Yamagami

Elle aurait ruiné son foyer en donnant 100 millions de yens (environ un million de dollars à l’époque) à l’Église, selon cet oncle.

Nombreux procès

Beaucoup d’autres familles au Japon ont connu des déboires similaires.

Les adeptes « sont pressés chaque jour de faire des dons », affirme à l’AFP Hiroshi Yamaguchi, un avocat défendant des personnes s’estimant victimes de l’Église de l’Unification. « Ils vous disent que le karma est lié à l’argent » et que les dons « sont le seul moyen de sauver votre âme ».

Cette organisation, qui s’appelle désormais officiellement la « Fédération des familles pour la paix et l’unité mondiales » (FFPUM), a été fondée en 1954 en Corée du Sud par Sun Myung Moon (1920-2012).

Elle s’est implantée dès 1959 au Japon, mais elle y est surtout devenue populaire dans les années 1980.

Le Japon est devenu une vache à lait pour cette Église, qui expliquait à ses ouailles nippones qu’elles devaient expier les crimes de l’occupation japonaise de la Corée (1910-1945).

« Ils conféraient exprès différents rôles à chaque pays », selon Hotaka Tsukada, un spécialiste des religions de l’Université de Joetsu (Japon). « Ils ont des manuels [commerciaux, NDLR] pour exploiter les croyants ».

L’Église pratiquait autrefois au Japon des « ventes spirituelles » à des prix exorbitants : une statuette censée donner l’absolution coûtait par exemple l’équivalent de 350 000 dollars.

Depuis 1987, des avocats japonais ont engagé des poursuites contre l’Église pour lui réclamer au total 123,7 milliards de yens (environ 1,18 milliard de dollars canadiens) de dommages et intérêts pour d’anciens fidèles.

L’organisation a été condamnée à plusieurs reprises dans les années 2000. Mais Me Yamaguchi pense qu’elle continue d’exercer une forte pression sur ses fidèles pour qu’ils atteignent des objectifs de dons.

« La FFPUM lance parfois des appels aux dons, mais ses membres choisissent s’ils veulent donner ou pas, quand et combien », assure à l’AFP Demian Dunkley, l’un de ses contacts presse.

Vies détruites

Tetsuya Yamagami aurait tenté de se suicider après la faillite de sa mère, et son frère a mis fin à ses jours en 2015.

Le naufrage de sa famille durant son adolescence a « perturbé » toute sa vie, a écrit M. Yamagami à un militant contre l’Église de l’Unification, la veille de l’assassinat de M. Abe, selon les médias nippons.

« Je ne peux pas approuver ce que [Tetsuya Yamagami] a fait », mais son acte « montre à quel point l’Église détruit des vies », a estimé lors d’une conférence de presse une ancienne membre de l’organisation au Japon.

La FFPUM cultive depuis ses débuts des liens avec la sphère politique, au Japon comme ailleurs. Shinzo Abe, mais aussi l’ancien président américain Donald Trump et l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso ont ainsi fait des discours en 2021 lors d’évènements sur le thème de la paix organisés par une ONG proche de l’Église.

L’Église « cherche à nouer des relations avec tous ceux qui s’intéressent à la paix », justifie M. Dunkley.

Mais sa proximité avec des gens de pouvoir servirait aussi à impressionner ses propres fidèles, selon ses détracteurs.

Son fondateur Sun Myung Moon avait fréquenté le grand-père de Shinzo Abe, Nobusuke Kishi, qui avait lui-même été premier ministre du Japon à la fin des années 1950.  

Et le frère de M. Abe, l’actuel ministre de la Défense Nobuo Kishi, a révélé cette semaine que des membres de l’Église de l’Unification avaient servi comme bénévoles pour ses propres campagnes électorales.

Des partis d’opposition ont lancé des groupes de travail pour se pencher sur les pratiques de l’Église et ses relations avec des responsables politiques nippons.