La première pilule abortive pourrait arriver au Japon prochainement. Mais, comme pour les avortements chirurgicaux, l’accord écrit du mari devrait encore être exigé pour interrompre une grossesse. Une loi dénoncée par les militantes féministes.

« Je pense qu’il est temps que le Japon reconnaisse les droits des femmes comme des droits de la personne et qu’il arrête de contrôler le corps des femmes ; notre avenir ne devrait pas dépendre de la permission d’un homme », commente Kazane Kajiya, membre du groupe Action for Safe Abortion Japan, jointe à Tokyo par visioconférence.

La femme de 25 ans a lancé une pétition en ligne l’an dernier pour demander au ministère de la Santé, du Travail et de l’Assistance sociale de mettre fin à la loi en vigueur depuis 74 ans. En date de mercredi, sa version en japonais avait recueilli plus de 81 000 signatures.

Arrivée de la pilule abortive

L’autorisation maritale pour un avortement est actuellement requise dans 12 pays, principalement au Moyen-Orient et en Asie.

La société pharmaceutique Linepharma a déposé en décembre une demande d’approbation pour commercialiser au Japon la pilule abortive, un mélange de mifépristone et de misoprostol, qui peut être utilisé pour interrompre une grossesse pendant les 63 premiers jours de gestation. Elle est utilisée en France et en Chine depuis une trentaine d’années ; Santé Canada l’a approuvée en 2015 et elle est offerte gratuitement au Québec depuis décembre 2017.

Au Japon, elle pourrait être accessible au cours de l’année.

Un consentement « nécessaire »

Le gouvernement a déjà annoncé que la loi requérant la signature du mari devrait s’appliquer aussi à cette méthode. « En principe, nous croyons que le consentement marital est nécessaire, même si l’avortement est provoqué par un médicament pris oralement », a dit à Bloomberg le secrétaire à l’Enfance et à la Famille au ministère de la Santé du Japon, Yasuhiro Hashimoto, en mai dernier.

Le consentement s’applique aux couples mariés, mais est parfois demandé pour les autres femmes ; des médecins craignent les poursuites s’ils n’obtiennent pas l’autorisation du géniteur.

Théoriquement, les femmes risquent jusqu’à un an de prison si elles enfreignent la loi.

Des journaux japonais ont aussi soulevé des dérives au cours des dernières années : un témoignage publié dans le quotidien Nikkei Asia en octobre 2020 rapportait des difficultés pour une victime de viol, qui n’avait pas porté plainte contre son agresseur, d’obtenir un avortement sans cette signature – même si elle n’est pas légalement requise dans les cas d’agression sexuelle ou de risque pour la santé de la femme.

Malgré tout, l’avortement au Japon ne soulève pas les débats comme aux États-Unis et il reste plus accessible que dans d’autres pays : environ 140 000 avortements chirurgicaux ont été pratiqués au Japon en 2020, selon les chiffres du ministère de la Santé.

L’avortement n’y est pas perçu avec la même « charge émotive » que dans les pays où la religion catholique a occupé un grand rôle, précise la Québécoise Valérie Harvey, sociologue, qui poursuit actuellement son postdoctorat à Kyoto. « C’est très largement employé par deux groupes : les jeunes femmes qui tombent enceintes malgré elles, et, le plus nombreux, les femmes qui ont déjà des enfants et, tout à coup, il y en a un troisième ou un quatrième pas prévu qui pointe le bout du nez », explique-t-elle.

Centré sur la communauté

Si cette loi peut paraître inusitée, elle s’ancre dans un rapport à l’individu différent de celui que l’on retrouve en Occident, nuance Mme Harvey.

« Oui, ça a rapport avec le fait que c’est inégal et que la femme a un statut peut-être plus bas – on le voit dans tous les indicateurs, dit-elle, soulignant que le Japon se situait en 2021 au 120e rang du Fonds économique mondial, sur 156, pour l’égalité entre les sexes. Mais ce n’est pas juste ça. C’est aussi cette idée de groupe. La famille, c’est le premier groupe. »

La communauté joue un rôle important. Que ce soit un grand ensemble de personnes ou un petit – comme un couple, ajoute-t-elle.

Des femmes ont aussi développé des techniques pour contourner cette obligation de consentement marital en demandant la signature d’une autre personne.

Mme Kajiya admet que les médecins ne vérifient pas systématiquement l’autorisation maritale. « Ce qui préoccupe vraiment les médecins, c’est de remplir la formalité, ils ne veulent juste pas violer la loi », souligne-t-elle, jugeant ces « brèches » insuffisantes, puisqu’elles mettent la pression sur la femme.

« Si tu ne peux pas avoir la permission d’un homme, tu dois mettre un nom au hasard sur le formulaire et, techniquement, ce n’est pas correct, tu te sens comme si tu faisais quelque chose de mal, alors que c’est la décision du gouvernement qui est mal », insiste-t-elle.

Avec Bloomberg