Des milliers de fichiers de la police chinoise au Xinjiang ont été divulgués aux médias mardi matin. Cette fuite est survenue le jour où la commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, entamait une visite de la province musulmane de l’empire du Milieu.

Les fichiers de police

Près de 3000 photos de détenus. Plus de 450 listes de 250 000 citoyens d’un comté du Xinjiang, soit 12 % de la population, qui ont été détenus dans différents « centres de rééducation ». Des dizaines de photos de tous les jours dans ces centres, ainsi que de pratiques policières de contrôle des détenus, avec des policiers armés jusqu’aux dents. Les documents dévoilés mardi par l’ONG américaine Victims of Communism Memorial (VOC), qui incluent des discours internes de dirigeants communistes au Xinjiang, montrent l’ampleur de la répression au Xinjiang. « Ce ne sont plus des photos satellites, ce sont des preuves réelles des gens qui sont emprisonnés pendant des années parce qu’ils sont croyants », estime Mehmet Tohti, directeur général du Projet pour la défense des droits des Ouïghours (URAP), à Ottawa. « C’est la preuve de crimes contre l’humanité. » La fuite n’est pas un hasard : les documents circulent depuis plus de quatre mois selon M. Tohti, qui a pu les consulter pour voir s’il reconnaissait des gens.

Citations de deux documents divulgués

Depuis l’an dernier, plus de 20 000 dangereuses bandes terroristes ont été détruites, ce qui est 5,5 fois plus que le total des dix dernières années.

Zhao Kezhi, ministre chinois de la Sécurité publique, lors d’une visite au Xinjiang en 2018

Quand les masses ne mangent pas durant la journée, c’est une bonne occasion pour nous pour entrer dans les villages et dans les résidences. Nous pouvons faire cela chaque jour. Nous devons couvrir chaque village et chaque résidence.

Chen Quanguao, secrétaire du PCC au Xinjiang, dans un discours au début du ramadan en 2017

Les dessous d’une fuite

Selon Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, la fuite pourrait simplement refléter la qualité des contacts d’Adrian Zenz, un sinologue allemand qui travaille depuis plusieurs années sur les Ouïghours pour VOC. « Il est souvent allé en Chine et parle mandarin. Mais ça pourrait aussi refléter des dissensions au sein du Parti communiste chinois (PCC). Certains ne sont pas convaincus que le tournant hostile aux minorités depuis dix ans est la bonne stratégie. D’autres ne sont pas d’accord pour que Xi Jinping reste au pouvoir plus longtemps que les dix ans qui sont habituels depuis Mao. La fuite pourrait être une tentative pour affaiblir Xi. »

Une visite au Xinjiang

Ancienne présidente du Chili, Michelle Bachelet a eu le feu vert chinois pour une visite au Xinjiang au début de janvier, alors qu’était sur le point de sortir un rapport très critique du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. « À l’époque, on parlait des questions qu’allaient poser les journalistes aux Jeux olympiques, dit M. Saint-Jacques. Il y a eu probablement un échange, on a autorisé la visite de Mme Bachelet si la publication du rapport survenait après les Jeux olympiques. » Les journalistes étrangers n’ont pas pu accompagner Mme Bachelet. « Les Chinois sont les champions des visites Potemkine. Il sera intéressant de voir si elle aura l’honnêteté de voir si elle admettra qu’elle n’a pas pu vérifier la situation. Je lisais une entrevue dans le South China Morning Post au sujet de sa première rencontre, avec le ministre chinois des Affaires étrangères. Elle n’était pas interviewée, mais le ministre disait qu’il avait demandé qu’elle corrige la désinformation sur le Xinjiang. » Aucun détail de l’itinéraire de Mme Bachelet n’a été dévoilé. L’agence de presse Chine nouvelle a cité Mme Bachelet félicitant « la Chine pour ses importantes réalisations en matière de développement économique et social et de promotion de la protection des droits de l’homme », selon l’AFP, citation que l’ONU n’a pas confirmée.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Michelle Bachelet, commissaire aux droits de l’homme de l’ONU (deuxième à partir de la gauche), tient une réunion virtuelle avec Du Hangwei, vice-ministre de la Sécurité publique (vu sur l’écran à droite), à Guangzhou, en Chine.

Le rapport reporté

Le rapport du Haut-Commissariat devait initialement sortir en septembre, mais la Chine a réussi à en retarder la publication en janvier, puis cet été, selon M. Tohti. « Je sais qu’il va être très critique de la Chine, dit le militant ouïghour. Il aurait été bien mieux qu’il sorte avant la visite de Mme Bachelet. Je crains qu’elle serve surtout à délégitimer le rapport. »

Les réfugiés d’Ukraine

Ces dernières semaines, des articles ont fait état de diplomates chinois répondant aux critiques européennes sur le Xinjiang en affirmant que l’Europe est elle-même discriminatoire en ouvrant les bras aux réfugiés ukrainiens tout en acceptant au compte-gouttes ceux de pays musulmans. La comparaison est-elle valide ? « C’est typique de la nouvelle politique étrangère des loups combattants, où les Chinois, civils et diplomates, contre-attaquent quand on critique leur pays, dit M. Saint-Jacques. J’ai récemment eu un échange Zoom avec des diplomates chinois et canadiens et les Chinois répétaient tous les mêmes propos au sujet du Canada qui devait cesser d’être le laquais des Américains. Ce n’était pas un dialogue. » M. Tohti, lui, estime que l’accueil réservé aux Ukrainiens montre que le Canada pourrait en faire bien plus pour les Ouïghours.

En savoir plus
  • 12,8 millions
    Nombre de Ouïghours en Chine selon la Chine
    SOURCE : ambassade de Chine au Canada
    Plus de 20 millions
    Nombre de Ouïghours en Chine selon le Congrès mondial ouïghour
    SOURCE : Congrès mondial ouïghour