(Taipei) Le président américain Joe Biden a provoqué la colère de Pékin en affirmant lundi que les États-Unis défendraient militairement Taïwan en cas d’invasion par la Chine, avant de revenir en arrière le lendemain et de déclarer que « l’ambiguïté stratégique », le concept volontairement flou qui gouverne la politique taïwanaise de Washington depuis des décennies, restait inchangée.

Le profond fossé politique et idéologique qui sépare Pékin de Taipei remonte au temps de la guerre civile chinoise, qui avait éclaté en 1927 entre les forces nationalistes du Kuomintang (KMT) et des groupes de combattants disparates soutenant le Parti communiste chinois.

En 1949, défait par les communistes de Mao Tsé-toung, le chef du KMT, Tchang Kaï-chek, s’était replié dans l’île de Taïwan encore sous son contrôle. De là, les nationalistes ont continué pendant des années à se considérer comme le gouvernement légitime de toute la Chine. Tout comme la République populaire de Chine continue aujourd’hui à considérer Taïwan comme une province rebelle à réunifier un jour ou l’autre, de force si nécessaire.

Taïwan, dont le nom officiel reste « République de Chine », est soumise jusqu’en 1987 à la loi martiale. Dans les années 1990, la démocratie se consolide dans l’île, qui a développé au fil des années une identité distincte de celle du continent. Taïwan lève l’état d’urgence en 1991, mettant fin de facto à l’état de guerre avec la « rébellion communiste », donc avec Pékin. S’amorce alors un lent rapprochement.

Les relations s’enveniment à nouveau en 2016 avec l’élection de la présidente Tsai Ing-wen, favorable à une déclaration formelle d’indépendance de l’île, une « ligne rouge » pour Pékin.

Ambiguïté stratégique

En 1950, Taïwan devient un allié des États-Unis en guerre contre la Chine en Corée. Mais en 1979, alors qu’il est devenu évident que le Kuomintang ne reprendra jamais le pouvoir sur le continent, Washington rompt ses relations avec Taipei et reconnaît la République populaire de Chine.

Dans le même temps, les États-Unis continuent à apporter un soutien décisif à Taipei. En vertu d’une loi adoptée par le Congrès, Washington est tenu de vendre des armes à Taïwan pour que l’île puisse assurer sa défense face à la puissante Armée populaire de libération de l’autre côté du détroit de Formose.

Mais les États-Unis maintiennent une « ambiguïté stratégique » en s’abstenant de dire s’ils interviendraient ou non militairement pour défendre Taïwan en cas d’invasion.

C’est ce concept, qui a permis de maintenir jusqu’ici une certaine stabilité dans la région, que Joe Biden a semblé faire voler en éclats lundi à Tokyo, avant de faire marche arrière le lendemain.

Face à l’agressivité croissante de la Chine, l’idée d’abandonner pour de bon l’ambiguïté stratégique commence à faire son chemin à Washington. L’invasion russe de l’Ukraine, qui fait craindre que Pékin ne fasse un jour la même chose à Taïwan, a donné des arguments aux partisans de la « clarté stratégique ».

La « politique d’une seule Chine »

La politique américaine concernant Taïwan est riche en nuances.

En application de ce qu’on appelle la « politique d’une seule Chine », Washington reconnaît officiellement un seul gouvernement chinois, celui de Pékin. Mais, en même temps, se garde d’approuver la position de Pékin selon laquelle Taïwan est une partie inaliénable de la Chine unique qui sera réunifiée un jour. 

Les États-Unis estiment que c’est à Pékin et à Taipei de trouver une solution, mais s’opposent à tout usage de la force pour changer le statu quo.

Officiellement, Washington ne reconnaît pas Taïwan. Mais dans les faits, Taïwan jouit de tous les avantages d’une pleine relation diplomatique avec les États-Unis. Ces derniers n’ont pas d’ambassade à Taipei, mais un « Institut américain » en fait office. Aux États-Unis, le « Bureau de représentation économique et culturel de Taipei » est également une ambassade qui ne dit pas son nom.

Seuls 14 pays reconnaissent encore diplomatiquement Taïwan. Pékin, qui fait inlassablement campagne pour empêcher toute reconnaissance internationale de l’île, a vivement réagi l’an dernier quand Taïwan avait ouvert un bureau de représentation sous son nom en Lituanie — les autres ambassades officieuses utilisent le nom de « Taipei », plus acceptable pour le régime chinois.  

Les États-Unis et un nombre croissant de pays plaident pour que Taïwan puisse faire partie d’organismes des Nations unies, comme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Taipei a accusé Pékin de pratiquer « l’intimidation » lundi, après que l’assemblée annuelle de l’OMS a refusé de débattre d’une éventuelle admission de Taïwan comme observateur, à la suite de pressions de Pékin et malgré le soutien de plusieurs pays.