(Tokyo) Les dirigeants des États-Unis, du Japon, de l’Australie et de l’Inde ont mis en garde mardi à Tokyo contre tout « changement du statu quo par la force », préoccupés par l’activité et l’influence militaire croissante de la Chine en Asie-Pacifique.

À l’issue de leur sommet dans la capitale nipponne, les quatre pays regroupés dans l’alliance informelle appelée « Quad » ont semblé dresser un parallèle entre les ambitions territoriales de Pékin et l’invasion russe de l’Ukraine qui « ébranle les principes fondamentaux de l’ordre international ».

Aucun « changement du statu quo par la force » ne sera « jamais toléré nulle part, particulièrement » en Asie-Pacifique, a prévenu le premier ministre japonais Fumio Kishida lors d’une conférence de presse.

Des bombardiers chinois et russes ont volé mardi ensemble à proximité du Japon, et un avion de reconnaissance russe a survolé la zone située au nord de l’île de Hokkaido, a annoncé après le sommet le ministre nippon de la Défense Nobuo Kishi qui y a vu une provocation de Pékin et Moscou contre le Quad.

« Alors que la communauté internationale répond à l’agression de l’Ukraine par la Russie, le fait que la Chine ait entrepris une telle action en collaboration avec la Russie […] est préoccupant. Cela ne peut être sous-estimé », a dit M. Kishi.

Pékin a confirmé ces vols, affirmant qu’ils entraient dans le cadre du « plan annuel de coopération militaire » entre la Chine et la Russie.

Le président américain Joe Biden avait affirmé lundi que les États-Unis seraient prêts à utiliser leurs moyens militaires en cas d’invasion de Taïwan par la Chine.

Il a cependant précisé mardi que « l’ambiguïté stratégique » restait inchangée. Cette doctrine américaine consiste à ne reconnaître diplomatiquement que la Chine continentale tout en s’engageant à donner à Taïwan les moyens militaires pour se défendre en cas d’invasion.

« Je veux rappeler à la partie américaine qu’aucune force au monde, y compris les États-Unis, ne peut empêcher le peuple chinois d’accomplir une unification nationale complète », a réagi le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Wang Wenbin.

Si Washington « persiste sur la mauvaise voie, cela aura non seulement des conséquences irrémédiables pour la relation sino-américaine, mais aussi un coût insupportable pour les États-Unis », a-t-il ajouté.

La Chine omniprésente

Les membres du Quad s’inquiètent régulièrement des manœuvres militaires et des tentatives chinoises de « grignotage » autour d’îles du Pacifique.  

Dans leur déclaration mardi, MM. Biden et Kishida, ainsi que le nouveau premier ministre australien Anthony Albanese et l’Indien Narendra Modi, ont fait spécifiquement référence à « la militarisation » de secteurs contestés, à « l’utilisation dangereuse de navires de garde-côtes et de milices maritimes et aux efforts visant à perturber les activités d’exploitation des ressources offshore d’autres pays », autant d’activités que la Chine est accusée de mener dans la région.  

Ils ont également dévoilé un programme de surveillance maritime visant à « promouvoir la stabilité et la prospérité dans nos mers et nos océans ».

Leurs déclarations ont cependant évité toute mention explicite de la Chine ou de la Russie, alors que l’unité du Quad est compliquée par des désaccords avec l’Inde, seul membre à n’avoir pas condamné l’invasion russe de l’Ukraine, augmentant même ses importations de pétrole russe malgré les critiques.

Mais M. Biden avait souligné plus tôt que ce sommet était celui « des démocraties contre les autocraties ».

La stratégie américaine vise une région Asie-Pacifique « libre, ouverte, connectée, sûre et résiliente. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine ne fait que souligner l’importance de ces objectifs, les principes fondamentaux de l’ordre international », avait-il ajouté.

Investissements en Asie-Pacifique

Les pays de la région s’inquiètent également des efforts de Pékin pour nouer des alliances avec de petites nations du Pacifique. Après un accord de sécurité conclu le mois dernier avec les îles Salomon, la Chine pourrait selon certains médias vouloir l’étendre à d’autres pays de la région.

Pékin a confirmé mardi que son ministre des Affaires étrangères se rendrait dans une série de pays du Pacifique dont les îles Salomon, la Papouasie–Nouvelle-Guinée, Fidji et Kiribati, et aurait des échanges vidéo avec la Micronésie et les îles Cook.

Qu’est-ce que l’alliance du Quad ?

Le groupe du « Quad », qui réunit les États-Unis, Inde, Australie et Japon, a officiellement vu le jour en 2007 avec pour principal objectif de contrer l’influence grandissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique.

Né après le tsunami de 2004

Les quatre pays se réunissent une première fois après le séisme, suivi d’un tsunami, du 26 janvier 2004 en Indonésie, avant de former, trois ans plus tard, le Dialogue quadrilatéral sur la sécurité. Le premier acte important du Quad est un exercice naval commun dans le cadre des manœuvres Malabar entre les États-Unis et l’Inde. Mais l’année suivante, le premier ministre australien de l’époque, Kevin Rudd, se met en retrait de l’alliance, ne voulant pas apparaître dans un groupe perçu comme mettant ouvertement au défi la Chine, devenue un important partenaire économique de l’Australie.

Le retour de l’Australie

Une décennie plus tard, de violents affrontements à la frontière entre la Chine et l’Inde poussent à la reconstitution de l’alliance en sommeil, avec un plus fort engagement de Canberra. Les quatre pays participent aux exercices Malabar de 2020, faisant apparaître le groupe de plus en plus comme une alliance militaire.

La marque de Biden

Après une administration Trump qui s’est contentée de soutenir le Quad, son successeur Joe Biden va plus loin, en organisant le premier sommet, virtuel, des dirigeants du groupe en mars 2021, avant une rencontre en personne en septembre dernier à Washington. En septembre 2021, les quatre dirigeants se retrouvent à Washington, ce qui permet de cimenter un peu plus cette alliance informelle. Cette formation reflète la nouvelle stratégie de Washington consistant à construire des coalitions de pays et d’institutions autour de besoins communs plutôt que des alliances militaires traditionnelles.

Courtiser l’Inde

Pour les États-Unis, l’Australie et le Japon, le Quad est un instrument pour courtiser l’Inde, traditionnellement attachée à son statut de non-aligné dans les batailles de superpuissances. Les combats meurtriers à sa frontière avec la Chine en 2019 pourraient l’avoir fait évoluer. L’Inde est « le membre crucial, critique du Quad », expliquait en novembre Kurt Campbell, responsable de la sécurité nationale en région Asie-Pacifique à la Maison-Blanche. Dans son plan stratégique pour la région, les États-Unis ont cessé de parler d’« Asie-Pacifique » pour se référer à l’« Indo-Pacifique ».

Vaccins et changement climatique

Le Quad est plus qu’une affaire de défense, assurent les quatre pays. Les membres du Quad veulent développer des actions de « soft power » qui, venant de pays démocratiques, contrasteraient avec la Chine autoritaire. La COVID-19 a offert au groupe une nouvelle raison d’être. C’est dans le cadre du Quad que les quatre pays ont promis la distribution de 1,3 milliard de doses de vaccin. D’autres questions son abordées : le transport maritime dit propre, la lutte contre le réchauffement climatique et la mise en place d’une infrastructure informatique et internet plus sûre.

Les membres du Quad ont aussi annoncé mardi vouloir investir au moins 50 milliards de dollars (environ 47 milliards d’euros) dans des projets d’infrastructures en Asie-Pacifique au cours des cinq prochaines années.

« Nous nous engageons à travailler en étroite collaboration avec nos partenaires et la région pour stimuler les investissements publics et privés », ont déclaré les quatre dirigeants dans leur déclaration commune.

Joe Biden est reparti mardi en fin de journée pour Washington, achevant ainsi sa tournée asiatique qui avait démarré par un séjour en Corée du Sud où planait la possibilité que l’imprévisible Corée du Nord tire un nouveau missile ou procède à un essai nucléaire.

Cette crainte ne s’est pas matérialisée jusqu’ici, mais Washington s’est dit « préparé » à cette éventualité, alors que les discussions sont au point mort depuis l’échec d’un sommet en 2019 entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président américain de l’époque Donald Trump.