Un résident néo-zélandais accusé d’un meurtre commis à Shanghai sera livré aux autorités chinoises

La justice néo-zélandaise ne nie pas l’existence de torture en Chine. Mais devant les garanties offertes par Pékin, la Cour suprême a confirmé une décision de 2016 d’extrader un de ses résidents permanents vers ce pays, où il est accusé d’homicide. Le jugement s’est attiré des critiques, en Nouvelle-Zélande comme ailleurs.

Kyung Yup Kim, quadragénaire d’origine sud-coréenne, se bat contre son extradition depuis 11 ans. Il vit en Nouvelle-Zélande, où il est résident permanent depuis l’adolescence.

Il y a deux semaines, la Cour suprême a confirmé un jugement qui validait la décision du ministère de la Justice de renvoyer M. Kim vers la Chine, où il est accusé pour un meurtre commis à Shanghai en 2009.

Au cœur du débat ? Les risques de torture sur le sol chinois, une pratique documentée, et d’un procès inéquitable.

Garanties

Les réponses données par le gouvernement chinois ont satisfait le ministère néo-zélandais de la Justice. Le pouvoir en Chine a assuré au Ministère que des représentants consulaires et diplomatiques néo-zélandais pourraient rendre visite à l’accusé en détention durant l’enquête, une fois toutes les 48 heures, et même davantage, s’il le demandait.

« Je suis troublée par cette présomption que les assurances diplomatiques de la République populaire de Chine sont une base solide pour l’extradition », note dans une entrevue avec La Presse Anna High, spécialiste de la loi chinoise à l’Université d’Otago, en Nouvelle-Zélande.

À l’annonce du jugement, le 13 avril dernier, des voix se sont élevées pour dénoncer le précédent ainsi créé, parmi les élus néo-zélandais comme ailleurs. Une vingtaine de députés et de sénateurs de différents pays, comme le Royaume-Uni, la France et l’Australie, membres du groupe Inter-Parliamentary Alliance on China, ont signé une lettre à la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, à la ministre des Affaires étrangères, Nanaia Mahuta, et au ministre de la Justice, Kris Faafoi, pour exprimer leur « inquiétude » sur la décision.

Les groupes de défense des droits de la personne ont aussi dénoncé la décision néo-zélandaise qui n’était pas unanime, deux des cinq juges ayant exprimé une dissidence.

Droits de la personne

« La Chine est un État qui a des pratiques judiciaires dans tous les domaines – pas juste à l’encontre des défenseurs des droits ou des opposants – totalement inappropriées, on parle de procès iniques, à portes closes où les avocats de la défense n’ont pas accès à la preuve, explique France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. C’est expéditif, et les sentences sont complètement disproportionnées par rapport aux crimes supposément commis. »

Elle craint les prochaines demandes d’extradition, non seulement en Nouvelle-Zélande, mais aussi ailleurs.

À partir du moment où il y a un jugement qui va dans un sens, ça ouvre la porte aux prochains jugements de causes similaires. Et ça peut être vers la Chine ou tout autre régime aussi autoritaire.

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone

Selon Sophie Richardson, directrice pour la Chine de Human Rights Watch, « aucune » garantie de la part de la Chine n’aurait pu être satisfaisante. « L’idée que le gouvernement de la Nouvelle-Zélande va accepter des garanties diplomatiques du gouvernement chinois est troublante, il y a de sombres antécédents du côté chinois de priver les gens d’un procès juste, et de faire de mauvais traitements et de la torture en détention », dit-elle.

Un « test »

Dans la décision de la Cour suprême néo-zélandaise, les juges notent que « la ministre des Affaires étrangères, dans sa lettre du 6 octobre 2021, a fait valoir que le cas de M. Kim est un “test” pour la RPC [République populaire de Chine] et a noté l’intérêt de la RPC dans l’extradition. Sur la base de cette analyse, la publicité [autour du cas] pourrait, en fait, protéger les intérêts de M. Kim ».

Malgré des divergences, notamment au sujet des droits de la personne, la Nouvelle-Zélande entretient des liens étroits avec la Chine, son principal partenaire commercial.

Dans sa lettre à la Cour, la ministre des Affaires étrangères a aussi expliqué que le cas de M. Kim est différent de ceux des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, détenus de façon arbitraire en Chine pendant plus de 1000 jours, puisqu’il ne s’agissait pas d’une accusation motivée par des enjeux politiques, mais bien par une « allégation sérieuse et légitime d’un crime ».

Kyung Yup Kim est accusé du meurtre de Peiyun Chen, survenu à Shanghai en décembre 2009. La jeune femme de 20 ans a été retrouvée sur un terrain vague, étranglée, le corps enveloppé dans un large tissu noir. Elle avait des blessures à la tête, selon les documents judiciaires de la Nouvelle-Zélande.

M. Kim se trouvait alors à Shanghai avec sa copine, qui aurait identifié les tissus dans lesquels la serveuse avait été enveloppée comme étant semblables à ceux vus dans l’appartement de l’accusé.

« Il y a une victime dans cette affaire, Peiyun Chen, et bien sûr que sa famille et la communauté méritent la justice pour sa mort », rappelle Mme High. Mais que la Chine ait des motifs sérieux de soupçonner M. Kim ou non, les pays doivent agir de façon responsable, dit-elle. « Avant de retourner M. Kim en Chine, la Nouvelle-Zélande a l’obligation légale et morale de s’assurer que ses droits fondamentaux de la personne ne seront pas violés », ajoute-t-elle.

Pour éviter l’extradition, Kyung Yup Kim pourrait se tourner vers le Comité des droits de l’homme des Nations unies.