Les pénuries s’aggravent au Sri Lanka, et ses habitants demandent depuis près de deux semaines la démission du président du pays. S’il a refusé de quitter son poste, Gotabaya Rajapaksa a remanié son gouvernement lundi, écartant du pouvoir trois membres de sa famille. Quatre questions pour comprendre la crise.

Pourquoi les Sri-Lankais sont-ils en colère ?

L’impact de la crise économique au Sri Lanka se fait sentir au quotidien dans l’île. La nourriture et les médicaments manquent. L’essence est accessible en quantité limitée. Les coupures d’électricité sont fréquentes. « Il y a beaucoup de difficultés économiques, il y a de longues queues aux stations d’essence, témoigne en entrevue téléphonique Sirimal Abeyratne, professeur d’économie à l’Université de Colombo. » « Ça dure depuis un certain temps. Sur le plan politique, les gens manifestent. Les plus grosses manifestations sont ici, à Colombo. » La métropole a en effet vu des dizaines de milliers de manifestants envahir ses rues au cours des 10 derniers jours, réclamant la démission du président Gotabaya Rajapaksa. Un important distributeur de carburant, Lanka IOC, a encore augmenté ses prix de 35 % lundi, arguant la dépréciation importante de la roupie. L’entreprise publique Ceylon Petroleum Corporation, la plus importante au pays, a imposé la semaine dernière une restriction sur le carburant. Mardi dernier, le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette extérieure, qui s’élève à 51 milliards US.

PHOTO ERANGA JAYAWARDENA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président Gotabaya Rajapaksa

Qu’est-ce qui a causé cette crise ?

Le Sri Lanka s’est retrouvé au cœur d’une tempête causée à la fois par des choix politiques et des circonstances mondiales, comme la pandémie et la guerre en Ukraine. À l’arrivée du gouvernement actuel, en 2019, la réserve de devises étrangères, nécessaires à l’importation de biens essentiels, était déjà basse. La dette du pays avait grimpé dans les dernières années. La COVID-19 a privé le pays de son industrie touristique, déjà malmenée par des attentats terroristes. Des politiques pour stimuler l’économie locale ont eu l’effet contraire – le président a d’ailleurs reconnu lundi avoir commis une « erreur » en interdisant l’an dernier les produits agrochimiques, causant des pertes agricoles. Cette politique devait notamment contribuer à préserver les réserves de change en mettant un terme à ces importations. « C’est louable de vouloir réduire sa dépendance aux produits chimiques, mais ça doit être planifié et ça n’a pas été le cas », souligne Narendra Subramanian, professeur de science politique à l’Université McGill. La roupie s’est dépréciée. La guerre en Ukraine est venue aggraver la situation. « La Russie et l’Ukraine sont d’importants fournisseurs de pétrole et de nourriture, note M. Abeyratne. Ça a multiplié l’inflation. »

Pourquoi les Sri-Lankais demandent-ils la démission du président ?

Les politiques mises en place par le président Rajapaksa sont montrées du doigt dans la crise actuelle. Dès mars 2020, le gouvernement a interdit l’importation de nombreux produits. L’été dernier, lorsque les Sri-Lankais ont commencé à avoir du mal à trouver des aliments de base, comme du riz et du lait en poudre, le gouvernement a nié les pénuries. La famille Rajapaksa domine la politique au Sri Lanka et est reconnue pour mal tolérer la critique. Depuis une décennie, le professeur Narendra Subramanian observe un « mouvement grandissant délicatement vers l’autoritarisme ». « Ça n’a pas été un mouvement soudain vers la dictature, mais les normes démocratiques et les libertés civiles ont été affectées », dit-il. Le premier ministre, Mahinda Rajapaksa, est le frère aîné de l’actuel président et a lui-même occupé la présidence de 2005 à 2015. Il est célébré par la majorité ethnique cinghalaise pour avoir vaincu la guérilla des Tigres tamouls en 2009, après 37 ans de guerre civile. Il a cependant toujours refusé une enquête internationale sur les atrocités attribuées à l’armée – alors dirigée par son frère Gotabaya. Basil Rajapaksa, leur cadet, a été ministre des Finances et accusé par l’opposition d’avoir détourné des millions de dollars de fonds publics.

Quelle suite peut-on attendre pour le Sri Lanka ?

Lundi, le président a écarté deux de ses frères et un neveu de son cabinet, tout en maintenant en poste son aîné Mahinda, vu comme le chef du clan. « C’est très peu susceptible d’être suffisant », juge M. Subramanian. Ce n’est pas la première tentative pour apaiser les manifestants. Le 3 avril dernier, la majorité du cabinet avait démissionné, après avoir été visé par des protestataires, qui avaient vandalisé leurs maisons. Le gouvernement entamera cette semaine des négociations avec le Fonds monétaire international, selon des responsables sri-lankais. « Le pays a besoin de remèdes rapidement pour sortir de la crise, mais pour une reprise durable de l’économie, il faudra des réformes fondamentales, qui ont été reportées depuis des années », estime M. Abeyratne. Les prêts accordés au Sri Lanka risquent d’être conditionnels à d’importants changements de gouvernance. « Parce que les tentatives pour construire une économie plus autonome ont été si mal faites, le Sri Lanka devra reculer sur ces efforts et se soumettre aux termes des créanciers », avance M. Subramanian.

Avec AFP, NYT, BBC

Correction : une version précédente de ce texte identifiait Colombo comme la capitale du Sri Lanka.

En savoir plus
  • Nombre d’habitants du Sri Lanka
    21,9 millions
    Source : Banque mondiale (2020)