(Almaty) Voitures et immeubles brûlés, flaques de sang sur le sol : vendredi, après plusieurs jours d’émeutes meurtrières, des habitants d’Almaty, capitale économique du Kazakhstan, s’aventurent timidement par petits groupes dans la rue, découvrant des scènes qu’ils pensaient inimaginables.

Dans la plus grande ville du pays transformée en champ de bataille, des engins de chantier alignent des blocs de béton pour aménager des points de contrôle dans les zones où les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont été les plus violents.

Des coups de feu éclatent soudain : les forces de sécurité ont tiré en l’air pour disperser des badauds agglutinés près d’un point de contrôle pour regarder et photographier un véhicule brûlé. « Partez ! », crie un policier.

« Je suis un simple habitant. Je voulais voir ce qui se passe dans ma ville », explique, interloqué, Gavit, un homme âgé de 47 ans qui préfère taire son nom de famille.

Gouverné de façon autoritaire depuis plus de trois décennies, le plus grand pays d’Asie centrale, peuplé de 19 millions d’habitants, a longtemps été associé à ses abondantes ressources naturelles et à sa stabilité.

Mais le calme a volé en éclats lorsque des manifestations ont débuté dimanche en province contre la hausse des prix du gaz, avant de gagner des grandes villes, dont Almaty, où elles se sont muées en violentes émeutes.

À Almaty, des affrontements mercredi et jeudi ont fait des dizaines de morts, selon les autorités.

Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les émeutiers, qui ont pris d’assaut et incendié la mairie et la résidence présidentielle.

La situation semblait s’être relativement calmée vendredi, mais, signe des tensions qui existent encore, des coups de feu pouvaient parfois être entendus.

« Leçon »

Dans le quartier des affaires, où les banques ont toutes baissé le rideau, la police arrête et fouille les rares voitures, sous le regard nerveux des conducteurs, sommés d’attendre avec les mains sur la nuque.

Plus loin, des volontaires, masque chirurgical sur le visage et portant brassards, ont improvisé un point de contrôle avec des bancs et des barres de métal, filtrant les véhicules.

« Qui êtes-vous ? Pas des pillards, j’espère ? », s’inquiète un conducteur en arrivant à leur hauteur. « Où est la police ? »

L’un de ces volontaires explique à l’AFP avoir décidé de venir après avoir vu sur les réseaux sociaux un appel à aider les autorités à protéger la ville des émeutiers, dont certains ciblent supermarchés, magasins de chasse et boutiques de prêteurs sur gages à la recherche de butin ou d’armes.

« J’ai envie d’aider la ville. Ce qui s’est passé au cours des trois ou quatre derniers jours, c’est terrible », explique Aziz Baltabaïev, employé de banque.  

« Ce qui est arrivé doit servir de leçon à la population et au gouvernement », ajoute-t-il.

Quelques minutes plus tard, des engins de chantier arrivent pour remplacer les bancs par des blocs de béton.

Vitrines brisées

Rares sont les commerces ouverts et les habitants commencent à s’inquiéter pour le ravitaillement.

Au milieu des boutiques aux vitrines brisées, on trouve parfois quelques épiceries ouvertes, mais leurs rayons sont quasiment vides. Certaines n’ont même pas de denrées de base, comme du pain, à vendre.

Les habitants se sont rués sur les quelques stations-service ayant rouvert vendredi, provoquant la formation de longues files d’attente. Une poignée de restaurants ont aussi repris du service.

Devant un restaurant-minute, des badauds cherchent à recouper des rumeurs faisant état d’affrontements entre militaires et manifestants à l’extérieur de la ville, ou échangent des récits de mésaventures arrivées aux uns et aux autres.

« Au début de la semaine, j’ai laissé mon téléphone à un prêteur sur gages », mais la boutique a depuis été pillée, raconte ainsi Almas. « J’imagine que je ne le reverrai jamais ».