Dans un peu moins de deux mois, la flamme olympique devrait briller au stade de Tokyo. Des voix s’élèvent cependant contre la tenue des Jeux, alors que le Japon a une nouvelle fois prolongé l’état d’urgence vendredi, en raison du nombre de cas de COVID-19, jugé trop élevé.

« La situation s’améliore globalement [depuis quelques jours], a dit à La Presse le spécialiste des maladies infectieuses Kentaro Iwata, dans une entrevue vidéo. Par contre, à cause de la transmission à certains endroits, plusieurs villes ont de la difficulté. Le Japon est un pays assez long. »

Le professeur à l’Université Kobe s’inquiète de la présence de variants au pays, considérés comme plus virulents et causant plus d’hospitalisations.

PHOTO FOURNIE PAR KENTARO IWATA

Le professeur Kentaro Iwata, spécialiste des maladies infectieuses

Le Japon a reconduit pour la troisième fois depuis avril ses mesures d’urgence – qui consistent principalement à fermer bars et restaurants à 20 h – dans 10 de ses 47 départements, dont Tokyo.

La métropole enregistrait 614 nouveaux cas vendredi. Le chef de l’Association médicale de Tokyo, Haruo Ozaki, estime que le nombre devrait baisser à moins de 100 cas quotidiens dans la capitale pour assurer la tenue en toute sécurité des Jeux, selon un journal local.

« Menace pour la santé »

Ces derniers jours, de nombreuses voix se sont élevées pour demander une annulation ou un report des Jeux, qui doivent se tenir du 23 juillet au 8 août. Des médecins ont exprimé leur inquiétude. Le quotidien Asahi, partenaire officiel des Jeux olympiques, a appelé à l’annulation de l’évènement, le qualifiant de « menace pour la santé ». Des sondages démontrent que de 60 à 80 % des Japonais ne veulent pas des Jeux.

Le premier ministre du Japon, Yoshihide Suga, insiste pour dire qu’ils seront « sûrs et sécurisés ». Une affirmation qui ne fait pas taire les critiques, au Japon comme ailleurs.

PHOTO BEHROUZ MEHRI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Yoshihide Suga, premier ministre du Japon

« Je suis inquiet, comme les professionnels médicaux, de la possibilité qu’un évènement super-contaminateur mène à de nouveaux variants, a dit à La Presse Jules Boykoff, professeur de science politique de l’Université Pacifique, en Oregon. Ce serait le pire héritage pour les Jeux de Tokyo. »

L’ancien athlète est l’auteur de plusieurs livres, notamment sur le mouvement olympique et la politique. Le New York Times a publié un de ses textes d’opinion, dans lequel il dénonçait vivement le Comité international olympique (CIO), l’accusant d’avoir fondé sa décision sur des motifs purement financiers.

« Il faut aussi penser au coût de créer un évènement super-contaminateur », a ajouté M. Boykoff en entrevue téléphonique.

Nous parlons ici d’un évènement sportif optionnel, même si nous aimons ça, ce n’est pas essentiel.

Jules Boykoff, professeur de science politique de l’Université Pacifique, en Oregon

Le CIO tire environ 75 % de ses revenus de la vente de droits de diffusion, estimés entre 2 et 3 milliards US pour les Jeux de Tokyo, selon l’Associated Press.

Des mesures prévues

Le CIO et le comité organisateur japonais assurent avoir pris les moyens nécessaires pour réduire les risques. Dans un courriel à La Presse, un porte-parole du CIO a assuré que le Comité appliquerait des mesures contre la COVID-19 basées sur « la science et l’expérience ».

L’organisation a publié une mise à jour de son guide il y a un mois pour inciter les participants à pratiquer les gestes barrières. Le CIO et le comité organisateur ont rappelé avoir élaboré un protocole en se basant sur des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Des tests de dépistage sont aussi prévus.

Des scientifiques, dans un article publié dans le New England Journal of Medicine la semaine dernière, ont cependant jugé que les mesures manquaient de rigueur et ne prenaient pas assez en considération les différentes sources de transmission, entre autres.

Le public absent

Plus de 11 000 athlètes de 200 pays et territoires sont attendus, en plus des juges, des membres des équipes et des médias, mais aucun spectateur étranger. Les Japonais pourraient eux aussi devoir suivre les épreuves à la télévision, a laissé entendre le comité organisateur de Tokyo, sans s’avancer officiellement.

Cette décision est primordiale, estime M. Iwata.

C’est le déplacement des gens qui fait progresser la transmission.

Kentaro Iwata, spécialiste des maladies infectieuses

Des athlètes apprécient moins l’idée. Le numéro un mondial de tennis, Novak Djokovic, a dit reconsidérer sa participation si le public était absent.

L’incertitude autour des Jeux reste difficile à vivre pour les athlètes, a rappelé Yann Roche, professeur de géographie à l’UQAM. D’autant que des protocoles ont déjà permis la tenue d’évènements sportifs en pleine pandémie.

« Si les Jeux olympiques n’avaient pas lieu, pour beaucoup de gens, ce serait un peu incompréhensible, étant donné qu’il y a quand même eu moyen de faire [la plupart des compétitions sportives ces derniers mois] », note ce membre de la Chaire Raoul-Dandurand dans une entrevue téléphonique.

Les comités olympiques confiants

Selon lui, il faudrait un « raz-de-marée » des comités olympiques au cours des deux ou trois prochaines semaines pour mener au report des Jeux de Tokyo.

Or, contrairement à l’an dernier, il ne semble pas y avoir d’impulsions en ce sens. L’Union européenne a réitéré la semaine dernière sa confiance dans la tenue « sûre et sécurisée » des Jeux olympiques.

Le Comité olympique canadien a répondu dans un courriel être « très conscient des appréhensions » liées à la pandémie.

Cependant, nous sommes persuadés que les Jeux olympiques seront présentés en toute sécurité et qu’ils profiteront de l’avis et de l’éclairage de certains des plus grands professionnels des sciences et de la santé au monde.

Le Comité olympique canadien, dans un courriel à La Presse

Le professeur Kentaro Iwata aurait préféré un report des Jeux jusqu’à ce qu’une plus grande partie de la population japonaise soit vaccinée. En ce moment, un peu moins de 7 % de la population a reçu au moins une dose, même si le gouvernement a indiqué son intention d’accélérer la cadence.

Il craint aussi l’influence de la tenue de l’évènement sportif sur les décisions gouvernementales.

« Si nos mesures contre la COVID-19 sont basées sur les Jeux olympiques plutôt que sur la sécurité de nos concitoyens, c’est très probable que le gouvernement n’appelle pas au prolongement de l’état d’urgence pendant les Jeux et aux Jeux, même s’il y a une montée, précise M. Iwata. C’est la question la plus préoccupante. »

Avec l’Agence France-Presse, l’Associated Press et The Guardian