(Rangoun) Des militants pro-démocratie ont appelé vendredi à manifester ce week-end dans toute la Birmanie contre le coup d’État militaire à l’occasion de la « journée des forces armées », après une attaque au cocktail Molotov contre le siège du parti d’Aung San Suu Kyi, l’ex-dirigeante civile renversée le 1er février.

Depuis, les violences ont fait plus de 320 morts et quelque 3000 personnes ont été arrêtées, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Le bilan pourrait être plus lourd, car des centaines de personnes arrêtées sont portées disparues. La junte fait état pour sa part de 164 morts.

Après la libération mercredi de plus de 600 personnes arrêtées après le putsch, 322 autres – « 249 hommes et 73 femmes », selon un responsable de la prison d’Insein à Rangoun – ont été relâchées par les autorités vendredi, à la veille de la « journée des forces armées ».

PHOTO SAI AUNG MAIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants ont été arrêtés à Rangoun lors d’un rassemblement dénonçant le coup d’État, le 27 février.

À Rangoun, la capitale économique, un cocktail Molotov a provoqué avant l’aube un bref incendie, avec des dégâts mineurs, au siège de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), parti de la lauréate du prix Nobel de la paix 1991. « Nous ne savons pas qui a fait cela, mais ce n’est pas bon du tout », a estimé Soe Win, un membre du parti.

Depuis le putsch, beaucoup de députés de la LND, gagnante des législatives de novembre, vivent dans la clandestinité et ont formé un Parlement fantôme, le Comité représentant Pyidaungse Hluttaw (CRPH).

Des opposants à la junte ont lancé des appels à manifester samedi à l’occasion de la « journée des forces armées ».

« Le temps est venu à nouveau de combattre l’oppression militaire », a déclaré sur Facebook Ei Thinzar Maung, un leader de la contestation. « Le 27 mars, rassemblons-nous pour la révolution du peuple en descendant dans les rues ».

Démonstration de force

Cette journée constitue traditionnellement une démonstration de force des militaires, avec un grand défilé à Naypyidaw, la capitale administrative. Elle commémore le 27 mars 1945, jour où le futur héros de l’indépendance, le général Aung San, père d’Aung San Suu Kyi, avait pris la tête d’un soulèvement contre les forces d’occupation japonaises.

Le mouvement pro-démocratie suscite également des grèves et une campagne de désobéissance civile des fonctionnaires qui entravent le bon fonctionnement de l’État. Les autorités ripostent en brisant les manifestations à coups de gaz lacrymogène et balles en caoutchouc ou réelles, et en multipliant les arrestations.

Vendredi, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles à Myeik, dans le sud du pays, contre des manifestants munis de boucliers et d’armes artisanales qui sont rapidement intervenus pour porter secours aux blessés, selon des vidéos authentifiées par l’AFP.

Au moins trois personnes ont été tuées, dont une femme qui se trouvait chez elle, a déclaré un témoin.

Les forces de l’ordre « ont tiré sur tous ceux qui se trouvaient sur la route alors qu’ils pourchassaient à moto les manifestants pour les arrêter », a-t-il dit.

Pour tenter d’échapper aux violences, les militants se montrent inventifs, défilant à l’aube ou organisant des rassemblements virtuels avec des pancartes ou des mannequins pour remplacer les manifestants.

À Mandalay (centre), deuxième ville du pays, des blouses blanches peintes d’un ruban noir ont ainsi été suspendues à l’entrée de l’université de médecine pour pleurer les victimes de la répression.

Des manifestants continuent toutefois à descendre dans les rues. Des milliers de personnes ont défilé à Monywa (centre) et Hpakant (Nord).

L’un des principaux groupes rebelles, l’Union nationale karen (KNU), active dans le Sud-Est, a publié vendredi une lettre adressée au chef de la junte, le général Min Aung Hlaing, en réponse à une proposition de rencontre.

La KNU, qui a accueilli récemment des centaines de manifestants pro-démocratie dans les zones qu’elle contrôle, réclame au préalable la libération de toutes les personnes arrêtées depuis le putsch, l’arrêt des violences et le retrait de l’armée de « tout engagement actif dans la vie politique ».

La contestation a été proposée au prix Nobel de la paix 2022, a expliqué vendredi Kristian Stokke, professeur de sociologie à l’université d’Oslo, à l’origine de cette candidature avec cinq autres universitaires.  

La communauté internationale intensifie ses condamnations, et ses sanctions, envers la junte. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale, ont pris jeudi des mesures contre les deux principaux conglomérats aux mains des militaires birmans.