(Rangoun) La junte birmane a lancé de nouvelles accusations de corruption contre Aung San Suu Kyi, qui pourrait être exclue de la vie politique si elle est reconnue coupable, et maintient jeudi son emprise sur plusieurs villes du pays en proie à une répression féroce.

Le bilan des victimes s’alourdit de jour en jour, avec plus de 200 morts depuis le coup d’État militaire du 1er février. Au moins sept personnes avaient été tuées mercredi par les forces de sécurité, d’après l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP).

Les militaires sont plus que jamais décidés à éteindre la contestation prodémocratie qui souffle sur le pays depuis le coup d’État avec des manifestations quotidiennes et des grèves de nombreux fonctionnaires (enseignants, médecins, cheminots…).

Ils resserrent aussi leur pression sur l’ex-dirigeante Aung San Suu Kyi, maintenue au secret.  

La télévision d’État a diffusé mercredi soir une vidéo d’un homme d’affaires controversé confessant lui avoir versé 550 000 dollars en plusieurs fois entre 2018 et 2020. « D’après ce témoignage, les autorités ont détecté qu’Aung San Suu Kyi s’était rendue coupable de corruption et se préparent à l’inculper », a déclaré la chaîne MRTV.

« Accusations absurdes »

« Ces nouvelles accusations sont sans fondement et absurdes », a dit jeudi à l’AFP son avocat, Khin Maung Zaw. Ma cliente a « peut-être des défauts, mais corrompre les gens n’est pas dans sa nature […] la plupart des Birmans n’y croiront pas » .

Arrêtée lors du coup d’État, Aung San Suu Kyi, 75 ans, a déjà été inculpée à quatre reprises : pour importation illégale de talkies-walkies, non-respect des restrictions liées au coronavirus, violation d’une loi sur les télécommunications et incitation aux troubles publics.

La semaine dernière, l’armée a annoncé ouvrir une enquête pour corruption, l’accusant dans un premier temps d’avoir perçu illégalement 600 000 dollars et plus de 11 kilos d’or.

L’organe étatique Global New Light of Birmanie a fait état jeudi d’une enquête sur des accusations de loyers sous-évalués pour des terrains utilisés par la Fondation Daw Khin Kyi, créée par Aung San Suu Kyi sous le nom de sa mère.

Si elle est reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés, la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 encourt de longues années de prison et pourrait être exclue de la vie politique.

Son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a remporté massivement les législatives de novembre. Mais les généraux ont allégué d’ « énormes » fraudes électorales lors de scrutin pour justifier leur putsch, les observateurs internationaux ne détectant pas de problèmes majeurs.

Plus de 200 morts

Des rassemblements épars se tenaient jeudi à travers le pays, notamment à Natmauk, ville natale du père d’Aung San Suu Kyi, héros de l’indépendance birmane. Des centaines de fonctionnaires ont défilé à Mandalay et des manifestants, dont des étudiants, à Myangyan.

Sur le site d’une des anciennes cités pyu, classées au patrimoine mondial par l’UNESCO, dans le bassin de l’Ayeyarwady (Irrawady), des manifestants ont placardé des affiches avec des appels comme « fin de la dictature en Birmanie » et « aidez-nous, stoppez le crime contre l’humanité » .

Mais les foules étaient peu nombreuses par peur des représailles. 217 manifestants ont été tués par les forces de sécurité depuis le 1er février, selon l’AAPP.

« Les tactiques de répression sont de plus en plus violentes », déplore l’ONG birmane. L’armée et la police tirent désormais « partout à balles réelles, sans raison, même contre des personnes qui ne manifestent pas. Les enfants et les femmes sont aussi visés » .

Jeudi, plusieurs quartiers de Rangoun restaient en proie à de violentes tensions.

Même sortir pour acheter de la nourriture est devenu dangereux, car on risque de tomber sur des patrouilles, a raconté un résident de la capitale économique birmane. « Tous nos rêves (de démocratie) se sont évanouis » .

Les forces de sécurité « menacent de tirer sur les habitants qui n’enlèvent pas les barricades » érigées par les manifestants, a relaté un médecin de l’est de la ville.

La veille à Rangoun, une manifestante avait été touchée par un tir mortel à la tête et deux hommes abattus dans la banlieue industrielle de Hlaing Tharyar, théâtre de la journée de répression la plus sanglante depuis le putsch, dimanche, avec des dizaines de morts.

Soldats et policiers incendient et pillent des maisons, détruisant des ouvrages publics comme des ponts, selon l’AAPP.

Le pays, qui s’était ouvert ces dix dernières années après des décennies d’isolement sous les précédentes dictatures militaires, se referme.

Les connexions internet sont de plus en plus limitées et l’accès à des sources d’informations indépendantes se raréfie. Tous les journaux privés du pays ont stoppé leur parution depuis le putsch pour des raisons logistiques ou forcés par les autorités.

Deux des quelque cinq millions d’habitants de Rangoun sont soumis à la loi martiale. Ils risquent d’être renvoyés, s’ils sont arrêtés, devant des tribunaux militaires avec des peines minimales de trois ans de travaux forcés.

Disparitions forcées, meurtres, tortures : Thomas Andrews, principal expert indépendant mandaté par les Nations unies sur ce dossier, a dénoncé devant le Conseil des droits de l’homme de probables « crimes contre l’humanité » .

Près de 2200 personnes ont été arrêtées ces six dernières semaines dont beaucoup sont détenues au secret. Des centaines de personnes sont ainsi portées disparues, a alerté l’ONU.

Sollicitée, l’armée, qui fait fi des multiples condamnations internationales et des sanctions mises en place par plusieurs puissances occidentales – États-Unis et Union européenne en tête –, n’a pas répondu aux requêtes de l’AFP pour des commentaires.