La junte qui dirige la Birmanie (Myanmar) depuis le coup d’État du 1er février intensifie la répression dans le pays sans se laisser infléchir par l’indignation de la population et la multiplication des dénonciations internationales.

Les militaires, qui ont tué un nombre record de manifestants dimanche, peuvent notamment compter sur l’appui de Pékin, qui leur a demandé lundi d’intervenir pour empêcher toute « action violente » et punir les « hors-la-loi » ayant supposément mis le feu à des dizaines d’usines de propriété chinoise dans un quartier populaire de Rangoun.

« Nous demandons aux citoyens de la Birmanie d’exprimer leurs demandes en respectant la loi et d’éviter d’être exploités ou manipulés d’une manière qui pourrait nuire à la coopération amicale » entre les deux pays, a prévenu un porte-parole du ministère des Affaires étrangères cité par Global Times, un porte-voix du régime communiste.

La Chine a par ailleurs indiqué qu’elle s’inquiétait pour la sécurité des ressortissants chinois vivant dans le pays et a demandé, là encore, un renforcement des mesures de sécurité faisant craindre un nouveau tour de vis des autorités birmanes.

140 manifestants tués

Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), qui est établie en Thaïlande, près de 140 personnes ont été tuées au cours de six semaines de manifestations visant à obtenir le rétablissement de la démocratie et le retour du gouvernement élu de l’ex-lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, actuellement détenue.

La répression a pris une tournure particulièrement meurtrière dimanche lorsqu’environ 45 personnes ont été tuées. Près de la moitié des victimes sont mortes dans la banlieue industrielle de Rangoun, la capitale économique du pays, où se trouvent les usines vandalisées.

Annie Zaman, une recherchiste établie en Birmanie, a indiqué lundi en entrevue que des scènes « horribles » sont survenues dans cette banlieue et un autre secteur de la ville où la junte vient d’imposer la loi martiale.

La décision donne une latitude totale aux militaires, qui ont tué une dizaine de personnes de plus lundi, pour réprimer la contestation, mais rien ne dit qu’elle aura raison de la détermination des manifestants.

Beaucoup de Birmans, note Mme Zaman, « ont l’impression de ne plus rien avoir à perdre » et sont déterminés à tout faire pour empêcher que le pays ne bascule durablement dans la dictature, même s’il n’est pas facile de « faire face à un régime militaire prêt à tuer des dizaines de personnes par jour ».

Les premières semaines de manifestations étaient largement pacifiques, et les gens trouvaient des façons originales de faire entendre leurs doléances, mais la donne n’est plus la même « lorsque des snipers commencent à tirer à la tête », dit-elle.

Le rapporteur spécial des Nations unies pour la Birmanie, Tom Andrews, a dénoncé lundi les actions des militaires comme de probables « crimes contre l’humanité » et exigé que l’approvisionnement en « armes et en argent » de la junte soit immédiatement stoppé.

Une action concertée contre la junte « peu probable »

Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie rattaché à l’Université de Montréal, pense qu’une action concertée de la communauté internationale contre le régime paraît peu probable en raison du droit de veto dont disposent la Russie et la Chine au Conseil de sécurité.

L’analyste note que les appels de Pékin à sévir contre les responsables du vandalisme survenu à Rangoun n’augurent rien de bon puisqu’ils semblent suggérer que Pékin se range ouvertement du côté du régime pour « favoriser la défense de ses intérêts économiques » dans le pays.

Le gouvernement chinois, dit-il, cherche aussi à user de son influence pour s’assurer que des milices rattachées à des groupes ethniques minoritaires qui contrôlent certaines régions de la Birmanie n’interviennent pas dans le conflit.

Plusieurs avaient conclu une trêve avec le pouvoir central à l’issue de discussions menées sous l’égide du gouvernement déchu d’Aung San Suu Kyi, qui risque fort d’être « assignée à résidence » pour de longues années si la junte se maintient au pouvoir, relève M. Rancourt.

L’un des proches collaborateurs de la dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), Mahn Win Khaing Than, nommé récemment vice-président d’un Parlement fantôme établi dans la clandestinité, a pressé la population de résister à la « dictature injuste ».

« C’est le moment le plus sombre de la nation, [mais] il faut que le soulèvement l’emporte », a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse en fin de semaine.