(Rangoun) La junte en Birmanie a démis de ses fonctions samedi son ambassadeur aux Nations unies, au lendemain de sa rupture spectaculaire avec le pouvoir militaire qui a intensifié la répression des manifestants dans le pays.

Le pays est secoué par une vague de manifestations prodémocratie depuis le coup d’État militaire qui a renversé la dirigeante civile Aung San Suu Kyi le 1er février.  

Les autorités ont graduellement intensifié l’usage de la force pour les disperser, avec des gaz lacrymogènes, canons à eau, balles en caoutchouc et parfois des balles réelles.

À Rangoun samedi, la police a utilisé des balles en caoutchouc pour disperser une manifestation au carrefour de Myaynigone, scène la veille d’un long affrontement.

La junte birmane invoque pour justifier le coup d’État des fraudes électorales lors des élections générales de novembre, les deuxièmes depuis la dissolution de la junte en 2011 et qui avaient été remportées haut la main par le parti d’Aung San Suu Kyi.

Mais vendredi, l’ambassadeur de la Birmanie à l’ONU, Kyaw Moe Tun, a rompu les rangs, et appelé, avec émotion, à « mettre fin au coup d’État militaire ».

« Nous avons besoin de l’action la plus forte de la communauté internationale pour immédiatement mettre fin au coup d’État militaire, mettre fin à l’oppression du peuple innocent et rendre le pouvoir de l’État au peuple », a déclaré Kyaw Moe Tun lors d’une session spéciale de l’Assemblée générale consacrée à la Birmanie.  

Dans quelques phrases en birman, il a demandé à ses « frères et sœurs » de poursuivre le combat contre la junte. « Cette révolution doit gagner », a-t-il lancé, achevant son discours d’une douzaine de minutes sous les applaudissements avec trois doigts levés, le geste de ralliement des manifestants.

Samedi soir, la télévision d’État MRTV a annoncé que Kyaw Moe Tun n’était plus l’ambassadeur de Birmanie à l’ONU.

Il « n’a pas suivi les ordres et la direction de l’État, et a trahi le pays », a-t-elle annoncé. « C’est pourquoi, il est révoqué de son poste à partir d’aujourd’hui ».

Arrestations en masse

Cette annonce intervient au terme d’une nouvelle journée de répression et d’arrestations de manifestants alors que le pays entre dans sa quatrième semaine de mobilisation contre le coup d’État militaire.

Des scènes de chaos ont eu lieu dans le centre commerçant de Rangoun où la police a dispersé, en tirant des balles en caoutchouc, des manifestants au carrefour Myaynigone.  

Les manifestants se sont alors dispersés dans les rues alentours où, pour beaucoup munis de masques à gaz, casques et boucliers de fortune, ils ont érigé des barricades avec des poubelles et des tables empilées pour arrêter la police.

« Que fait la police ? Elle protège un dictateur fou », scandaient les manifestants.  

« Nous voulons nous battre jusqu’à la victoire », a déclaré un manifestant, qui se fait appeler Moe Moe, 23 ans.

Au carrefour voisin de Hledan, la police a fait usage de grenades assourdissantes, a constaté l’AFP.

Au moins trois journalistes ont été arrêtés, dont un photographe de l’agence américaine Associated Press ainsi qu’un vidéaste et un photographe de deux agences birmanes, respectivement Birmanie Now et Birmanie Pressphoto.

Dans la ville de Monywa, dans le centre du pays, la manifestation avait à peine démarré que la police et l’armée ont fondu sur les participants, a déclaré Htwe Augn Zin, un médecin qui travaille avec une équipe de secours d’urgence, qui a fait état d’un homme « sévèrement blessé » à la jambe. Un autre médecin, qui a requis l’anonymat, a rapporté à l’AFP qu’une femme, blessée grièvement, avait été hospitalisée d’urgence

Deux médias locaux, le Monywa Gazette et le Hakha Times, ont vu leurs journalistes arrêtés alors qu’ils tentaient de diffuser en direct des vidéos de manifestations sur Facebook

Une ONG d’aide aux prisonniers politiques (AAPP) évaluait jusqu’à présent à plus de 770 le nombre de personnes arrêtées, inculpées ou condamnées depuis le putsch, dont quelque 680 toujours derrière les barreaux.

Mais ce bilan devrait grimper, selon Bo Gyi, d’AAPP.

« Plus de 400 personnes ont été arrêtées (aujourd’hui) », a-t-il indiqué, précisant que seule une fraction d’entre eux figurera sur la liste fournie par l’ONG car tous les noms n’ont pu être confirmés.

Plus tôt dans la journée, MRTV a également diffusé l’arrivée de plus d’un millier de réfugiés birmans expulsés de Malasie, malgré une décision de justice arrêtant le rapatriement.

Des associations de défense des droits de l’Homme avaient fait état de la présence de demandeurs d’asile parmi eux.

Ils ont été accueillis en héros dans le port de Rangoun, en présence de familles de militaires et de fonctionnaires.

Audience lundi

Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont désormais détenus par le chef de l’armée, général Min Aung Hlaing.

Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, n’a pas été vue en public depuis son arrestation. Assignée à résidence dans la capitale Naypyidaw, elle a été inculpée pour l’importation illégale de talkies-walkies puis pour violation des restrictions liées au coronavirus.

Malgré plusieurs demandes, son avocat Khin Maung Zaw n’a pas été autorisé à voir sa cliente avant une audience fixée lundi.