Des analyses, des interviews, des études : les membres d’une mission internationale de l’Organisation mondiale de la santé se transformeront en véritables détectives du virus pour tenter de remonter à l’origine de la COVID-19. Ils sont arrivés à Wuhan, en Chine, jeudi dernier. Leur tâche, plus d’un an après le signalement du premier cas, risque d’être particulièrement complexe.

« C’est important de comprendre en détail le mécanisme de l’émergence des virus parce que ça risque de se produire encore », commente le DRaymond Tellier, microbiologiste au CUSM.

La mission internationale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), composée de 10 experts internationaux, a mis le cap sur Wuhan. Elle doit passer près d’un mois en Chine pour tenter de comprendre l’origine du virus qui a tué quelque 2 millions de personnes en un an.

« J’imagine que ce que l’OMS veut faire, c’est remonter la chaîne des diagnostics humains pour essayer d’approcher le plus possible du tout premier cas et essayer de voir si, de là, les experts peuvent établir quel a été le facteur de risque, avance le DTellier. J’imagine qu’ils vont vouloir faire des échantillonnages d’espèces animales, la chauve-souris surtout, peut-être d’autres espèces dans différents endroits. »

Diplomatie sur la corde raide

Ce n’est pas la première équipe de l’OMS à se rendre à Wuhan depuis un an, mais cette mission se concentrera sur les origines de la pandémie. L’équipe est composée de vétérinaires, de médecins, d’épidémiologistes et de virologues, a dit le chef de mission Peter Ben Embarek, lui-même spécialisé dans la transmission interespèce de maladies, dans un entretien diffusé sur le site web de l’OMS. Ils travailleront étroitement avec leurs homologues chinois, a-t-il précisé.

La visite a nécessité plusieurs mois de discussions diplomatiques avec la Chine. L’OMS a quelque peu perdu patience avec Pékin, l’accusant de traîner des trainer les pieds pour délivrer les autorisations nécessaires.

L’épidémiologiste Daniel Lucey, de l’Université Georgetown à Washington, ne doute pas que la Chine a mené des enquêtes « minutieuses » dès les premiers signes du virus, a-t-il dit à La Presse. Le spécialiste qui a étudié les virus dans différents pays espère maintenant que l’équipe internationale sur place aura accès à toutes les données recueillies. « Nous n’avons pas entendu un mot sur des tests sur les animaux vivants [du marché de Huanan], note-t-il, par exemple. Je pense bien qu’ils les ont testés, c’est une information que la Chine devrait communiquer. »

Même si le chef de la mission de l’OMS estime qu’il s’agit « manifestement d’un virus naturel », il a indiqué que l’équipe étudierait la possibilité qu’il ait été créé en laboratoire, aussi improbable que soit ce scénario, pour n’écarter aucune piste d’emblée.

Le DLucey a applaudi cette décision, qui l’a surpris. Dans une liste dressée l’été dernier sur son blogue et reprise dans un article du New York Times, il avait élaboré une liste de questions sur lesquelles l’OMS devrait se pencher, dont celle des laboratoires. S’il estime que le virus est probablement d’origine naturelle, il croit qu’évaluer toutes les hypothèses rendra l’enquête plus crédible.

Hypothèse de départ infirmée ?

Même si Wuhan est le premier endroit dans le monde à avoir signalé la présence de ce virus chez les humains en décembre 2019, la Chine a souvent nié que la COVID-19 trouvait son origine sur son sol, même si rien ne le prouve et qu’aucune autre éclosion n’a été répertoriée avant.

Pour les experts, il est logique d’étudier l’endroit où les premiers cas ont été décelés, même si le virus pourrait avoir voyagé avant décembre 2019.

Les premiers éléments dévoilés l’an dernier laissaient penser que les premières contaminations émanaient d’un marché à Wuhan où sont vendus des animaux sauvages. La thèse apparaît moins probable aujourd’hui.

Je pense que tout le monde est d’accord pour dire que le virus, lorsqu’il a été découvert pour la première fois en décembre 2019, était déjà très contagieux entre humains. Pour moi, ce fait est très, très important.

L’épidémiologiste Daniel Lucey, de l’Université Georgetown à Washington

En janvier dernier, l’expert remettait déjà en question publiquement l’hypothèse du virus prenant son origine au marché de Huanan, en raison de la virulence de la maladie. « Ça n’arrive pas comme ça, affirme-t-il. D’après toutes mes études et expériences sur la question, les virus ne sautent pas des animaux aux gens en devenant tout de suite très contagieux tout à coup. »

Une hypothèse est qu’il circulait déjà depuis un certain temps, peut-être des mois ou un an avant que ne tombe le premier diagnostic, ajoute-t-il. L’enquête pourrait être encore longue.

« C’est important de savoir d’où vient le virus, note le DTellier. C’est intéressant du point de vue scientifique, mais ça a des conséquences pratiques aussi parce que si on comprend comment cette émergence s’est faite, on arrivera peut-être à prévenir des émergences similaires. »

En déterminant si un animal infecté par une chauve-souris a servi d’hôte intermédiaire pour contaminer un humain, on pourrait par exemple restreindre les contacts entre des espèces.

Plusieurs éléments ont favorisé la rapidité de la propagation, comme les déplacements humains. Raymond Tellier note aussi les changements climatiques et le dérangement des écosystèmes au nombre des facteurs favorisant le « saut » d’une espèce à une autre. « Les virus émergents qui peuvent causer des pandémies, c’est en grande partie un problème d’écologie des virus, souligne le DTellier. Et si on dérange les écosystèmes, on cause des perturbations dans les virus qui sont en équilibre avec ce système-là. Et ces virus hors équilibre peuvent parfois sauter d’une espèce à une autre et déclencher un phénomène de pandémie comme on le voit maintenant. »

— Avec l’Associated Press