(Washington) La croissance de la puissance militaire de la Chine et sa détermination à mettre fin à la domination américaine dans la région Asie-Pacifique inquiètent les milieux de la défense des États-Unis.

Des responsables américains redoutent notamment l’expansion de l’arsenal nucléaire chinois ; les progrès de Pékin dans l’espace et en ligne ; l’amélioration de ses missiles ; et les menaces chinoises envers Taïwan.

« Progrès chinois »

« La rapidité des progrès chinois est stupéfiante », a dit le chef adjoint de l’état-major des États-Unis, le général John Hyten, qui est aussi l’ancien commandant des forces nucléaires américaines et l’ancien responsable des activités spatiales de l’armée de l’air.

Cela pourrait mener à un équilibre des pouvoirs plus favorable à la Chine. Un tel réalignement ne menacerait pas directement les États-Unis, mais pourrait compliquer les alliances américaines en Asie.

Pour le moment, les responsables s’émerveillent de voir Pékin mobiliser les ressources, la technologie et la volonté politique nécessaires pour concrétiser ces gains rapides.

Le plus récent exemple de ces progrès est l’essai par la Chine d’un missile hypersonique capable d’entrer partiellement en orbite autour de la Terre avant de rentrer dans l’atmosphère et d’être guidé jusqu’à sa cible. L’arme est destinée à éviter les systèmes antimissiles américains. Même si Pékin assure qu’il s’agit d’un véhicule spatial réutilisable et non d’un missile, le test semble avoir pris les dirigeants américains de court.

« Un moment Spoutnik »

Le chef de l’état-major des États-Unis, le général Mark Milley, a dit qu’il s’agissait presque d’un moment Spoutnik, une allusion au lancement du premier satellite par l’Union soviétique en 1957. Ce lancement avait pris le monde par surprise et suscité des inquiétudes quant à un éventuel retard technologique des États-Unis. La course aux armements et à l’espace qui a suivi a éventuellement acculé l’Union soviétique à la faillite.

Le général Milley et d’autres responsables américains ont refusé de discuter des détails du test chinois, affirmant qu’ils sont secrets. Il a dit que la situation est « très préoccupante » pour les États-Unis, avant d’ajouter que les défis présentés par la modernisation militaire chinoise vont plus loin.

« C’est un seul système d’arme, a-t-il dit au réseau Bloomberg. Les capacités militaires chinoises sont bien plus vastes que ça. Elles prennent rapidement de l’expansion dans l’espace, sur l’internet, et dans les domaines traditionnels de la terre, de la mer et de l’air. »

Sur le plan nucléaire, des images satellitaires privées ont témoigné au cours des derniers mois de la construction de silos de lancement, ce qui pourrait vouloir dire que la Chine a l’intention de donner plus d’ampleur à son arsenal de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM).

250 silos de missiles balistiques

Hans Kristensen, un spécialiste des armes nucléaires de la Federation of American Scientists, dit que la Chine semble être à construire 250 silos d’ICBM, soit dix fois plus que le nombre dont elle dispose actuellement. En comparaison, les États-Unis disposent de 400 silos d’ICBM et d’une réserve de 50.

Des dirigeants du Pentagone et des politiciens de Washington croient que la modernisation de la Chine justifie la reconstruction de l’arsenal militaire américain, un projet qui devrait coûter plus d’un milliard de dollars américains au cours des 30 prochaines années.

Fiona Cunningham, une spécialiste de la stratégie militaire chinoise à l’Université de la Pennsylvanie, croit que la poussée nucléaire de Pékin s’explique en partie par ses inquiétudes face aux intentions américaines. C’est ce qu’elle a expliqué lors lors d’une conférence en ligne organisée par l’université Georgetown.

Je ne pense pas que la modernisation nucléaire de la Chine lui donne la capacité de lancer une attaque anticipée contre l’arsenal nucléaire américain, ce qui était une source importante de compétition pendant la guerre froide. Mais en revanche, ça limite l’efficacité d’une frappe américaine anticipée contre l’arsenal chinois.

Fiona Cunningham, spécialiste de la stratégie militaire chinoise à l’Université de la Pennsylvanie

Des analystes craignent que ses inquiétudes ne poussent Washington dans une course aux armements avec Pékin. Le Congrès appuie une hausse des dépenses consacrées aux activités dans l’espace et en ligne, ainsi qu’aux technologies hypersoniques. Le prochain budget pourrait aussi prévoir des fonds pour déployer des armes hypersoniques à bord de sous-marins.

Les États-Unis se concentrent depuis vingt ans à contrer la menace de groupes terroristes comme Al-Qaïda en Irak et en Afghanistan. Cela a commencé à changer sous l’administration Trump, qui a élevé la Chine au premier rang des priorités en matière de défense, en compagnie de la Russie et en remplacement du terrorisme comme menace principale.

Plus inquiétante que la Russie

La Russie demeure pour le moment la plus importante menace stratégique en raison de la taille de son arsenal nucléaire. Mais le général Milley et d’autres affirment que la Chine est plus inquiétante à long terme puisque sa puissance économique est largement supérieure à celle de la Russie et des ressources qu’elle consacre à la modernisation militaire.

À son rythme actuel, la Chine « surpassera la Russie et les États-Unis » en ce qui concerne la puissance militaire totale d’ici quelques années « si nous ne faisons rien pour que ça change », a prévenu le général Hyten, qui prendra sa retraite avant la fin du mois. « Ça va se produire. »

L’administration Biden dit compter sur ses alliés en Asie pour tenir la Chine en respect. C’est notamment ce qui explique sa décision de partager avec l’Australie une technologie de propulsion nucléaire de pointe, lui permettant d’acquérir une flotte de sous-marins à armes conventionnelles.

Taïwan est aussi une source d’inquiétude. Des responsables militaires américains croient que la Chine accélère possiblement son échéancier pour reprendre le contrôle de l’île, ce qui pourrait provoquer un affrontement potentiellement catastrophique entre Pékin et Washington.

Les États-Unis promettent de longue date d’aider Taïwan à se défendre, mais n’ont jamais précisé jusqu’où ils sont prêts à aller en riposte à une attaque chinoise.