Correspondant en Chine pour France Télévisions, Arnauld Miguet a passé 133 jours bloqué à Wuhan, lors de la première vague de coronavirus, début 2020. Il raconte dans un livre ces semaines angoissantes et la façon dont les autorités chinoises ont éradiqué la COVID-19 dans la ville-berceau de la pandémie. Entrevue.

LA PRESSE. Vous êtes à Shanghai. Où en est la situation de la COVID-19 en Chine ? Le pays semble aller beaucoup mieux…

ARNAULD MIGUET. On est presque débarrassés de l’épidémie. Il y a toujours des cas sporadiques, mais tout ça se compte sur les doigts d’une main. Pendant 20 jours, il n’y a eu aucun cas dans tout le pays. À Wuhan, cela doit faire 340 jours qu’il n’y a pas eu un seul cas officiel. Je dis « officiel » parce que, évidemment, les chiffres sont à prendre avec des pincettes.

La campagne de vaccination est-elle très avancée ?

Outre la qualité de leur vaccin, qui peut être discutable, les Chinois sont assez réfractaires au vaccin pour la simple raison qu’il n’y a presque plus de COVID-19 dans le pays. Cela étant dit, il y a 25 % de la population qui a reçu au moins une première dose et 350 millions de doses ont été injectées en tout. C’est tout de même quelque chose.

PHOTO HECTOR RETAMAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des travailleurs de la santé à l’œuvre à Wuhan, en janvier 2020

Les autorités poussent-elles pour que les gens se fassent vacciner ?

Bien sûr. Un peu comme aux États-Unis où on peut vous offrir un pack de bière. Ici, selon les centres de vaccination, on vous offre une barquette d’œufs, du papier de toilette, une glace, un McDo gratuit ou beaucoup de champignons parce que c’est la saison.

Quels avantages incitatifs !

En fait, c’est un peu la carotte et le bâton. Dans certains établissements, notamment à Pékin, on identifie aussi des immeubles avec des autocollants disant : « Dans cet immeuble, il n’y a que 30 % ou 60 % des habitants qui sont vaccinés. » C’est une façon de montrer du doigt les gens qui ne sont pas les bons élèves. Gentiment, mais quand même…

La semaine dernière, l’hypothèse que la pandémie soit née d’un accident au laboratoire virologique de Wuhan a été relancée par une vingtaine de scientifiques dans la revue Science. Comment cette nouvelle a-t-elle été reçue en Chine ?

Les Chinois n’ont pas réagi officiellement. C’est évidemment quelque chose qui ne leur plaît pas. Les autorités chinoises étaient ravies de la visite des experts de l’OMS en janvier, qui avaient balayé cette possibilité d’un revers de main. Les Chinois jouent beaucoup sur l’hypothèse d’un virus venant de l’étranger. Il y a toutes sortes d’hypothèses farfelues – ou pas – qui sont sur la table. Mais moi, je trouve quand même étonnant qu’on balaie l’hypothèse d’un accident de laboratoire, alors que Wuhan est le centre de l’étude du coronavirus en Chine !

Vous êtes arrivé à Wuhan le 22 janvier 2020, un jour avant que la ville ne soit confinée pendant plus de trois mois. Quelle impression vous reste-t-il de ces 133 jours passés dans une cité presque fantôme, où vous étiez l’un des rares journalistes étrangers ?

C’est un peu la noirceur. Pas de mouvement. Pas de gaieté. Un temps très long. Très étiré. Tout le monde avait la frousse. Les habitants ne savaient pas ce qui leur tombait sur la figure et jusqu’où ça pouvait aller. C’était un climat anxiogène. Je savais qu’il y avait un risque, même si je savais qu’on n’allait pas tous mourir.

Wuhan a été littéralement mis sous cloche. Impossible d’en sortir. D’y entrer. Des mesures sanitaires absolument radicales…

Le confinement à la chinoise n’est pas du tout le confinement à l’européenne ! Il y a eu un confinement vraiment très dur où les gens ne pouvaient pas sortir de chez eux, ne fût-ce que pour faire des courses. La nourriture leur était apportée au pied des immeubles. Il y avait la chasse à la fièvre. C’est quelque chose qui m’a marqué. On a chassé les malades. C’était terrible. Vous avez un pistolet sur la tempe 10 fois par jour !

Dans votre livre 133 jours à Wuhan, vous parlez beaucoup des mécanismes de surveillance pendant le confinement : drones, traçage par téléphone, codes QR. Jusqu’à quel point la population a-t-elle joué le jeu ?

Il y a eu du mécontentement. Mais en Chine, lorsque le parti demande quelque chose, en général, les gens s’exécutent. Vous avez la pression des voisins. Vous avez la pression infinie des comités de quartier, hérités de Mao. Il y avait là des gens qui se relayaient jour et nuit pour surveiller les entrées et les sorties des immeubles, pour s’assurer que personne ne trichait. De façon très zélée pour certains d’entre eux. À la campagne, vous aviez des écriteaux rouges en lettres blanches qui disaient : « Si vous n’êtes pas contents, on vous casse les dents. Si vous sortez, on vous casse les jambes. » Ça fait réfléchir !

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’AUBE

Arnauld Miguet, l’un des rares journalistes étrangers présents à Wuhan au plus fort de l’épidémie, raconte son expérience dans un récit inédit.

Est-ce que, ultimement, ce contrôle tous azimuts est ce qui a permis à la Chine de s’en sortir plus rapidement ?

Sans doute. Le modèle chinois est le modèle d’un régime autoritaire à la main de fer qui peut décider du sort de ses citoyens et ne s’inquiète pas beaucoup de leurs libertés. Une fois qu’on a dit ça, le modèle taïwanais a été extrêmement efficace, les modèles sud-coréen et japonais aussi, et ce sont des démocraties. Cela dit, les Chinois avaient d’une certaine manière l’expérience du SRAS qui les avait traumatisés. Ils ont fait des erreurs, mais ont vite rectifié le tir : isoler les malades, les cas contacts, le personnel hospitalier. Imposer les quarantaines obligatoires. Fermer les frontières. C’est du bon sens. D’ailleurs, les frontières de la Chine sont toujours fermées aujourd’hui.

Diriez-vous que le pouvoir est sorti renforcé de cette épidémie ?

Malgré le manque de transparence et les mensonges au départ, malgré les chiffres tronqués, malgré les risques encourus et les choses qu’on ne sait pas forcément, je crois qu’au jour d’aujourd’hui, et à la lumière de ce qui se passe dans le reste du monde, les Chinois commencent à se dire : « Bravo, on a éradiqué la maladie. » Il y a cette serveuse que j’ai rencontrée la semaine dernière dans un restaurant de Shanghai. Elle m’a demandé comment était la situation en France… Je lui ai répondu qu’il y avait environ 20 000 cas par jour. Et elle m’a dit : « Ah bon ? Et votre gouvernement, il ne s’occupe pas de vous ? » C’est d’une naïveté. Mais en même temps, à travers son regard chinois, tout est dit…