À New Delhi, les flammes s’élèvent de bûchers construits hâtivement. Problème d’espace, manque de bois, rythme insoutenable : les crématoriums ne fournissent plus à la demande. La nouvelle vague de COVID-19 a causé trop de morts en trop peu de temps.

Des images locales montrent les corps de défunts, enveloppés dans des linceuls blancs, disposés sur des brancards en attendant leur tour. Les feux brûlent 24 heures sur 24 à certains endroits.

Les crématoriums à ciel ouvert, près d’un cours d’eau, font partie du paysage indien. Sauf que cette fois, le nombre est frappant.

« Pour la majorité de la population, le rite de crémation se fait à aire ouverte, les crématoriums fermés à gaz sont très peu fréquentés », précise Mathieu Boisvert, professeur au département de sciences des religions de l’UQAM et directeur du Centre d’études et de recherche sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora.

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Des familles, des proches et des ambulanciers rassemblés dans un crématorium de New Delhi, mardi

L’incinération du corps prend plus de temps — environ huit ou neuf heures — avec cette méthode traditionnelle, ce qui ajoute à la pression actuelle.

Crématoriums supplémentaires

Les établissements de la ville ont été forcés d’improviser des bûchers supplémentaires, notamment dans des parcs et des stationnements. Avec ses hôpitaux au maximum de leur capacité et ses pénuries d’oxygène médical et de médicaments, la grande agglomération de quelque 20 millions d’habitants pourrait continuer à connaître des jours sombres. Comme ailleurs au pays.

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Des travailleurs épuisés prenant un moment de répit dans un crématorium de New Delhi, samedi

L’Inde manque d’espace pour traiter ses morts. Les matériaux commencent eux aussi à se faire rares dans certaines régions du pays, au point où des responsables demandent maintenant aux familles des défunts de fournir le combustible pour la crémation.

PHOTO JEWEL SAMAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue aérienne d’un crématorium de New Delhi

L’incinération fait partie du rite funéraire traditionnel hindou, suivi par les plus religieux comme par les plus laïques, précise M. Boisvert. « C’est clair que la majorité des familles indiennes sont touchées, toutes les familles que je connais sont en deuil », ajoute celui qui se rend régulièrement au pays depuis une quarantaine d’années.

Les crématoriums modernes n’ont pas de répit non plus : leurs cheminées se fissurent et les armatures métalliques des fours finissent par fondre sous l’intensité de la chaleur, notait un correspondant de l’Agence France-Presse.

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Un homme effectuant mardi des rites funéraires à la mémoire d’un proche mort de la COVID-19, dans un crématorium de Guwahati

Le crématorium de Seemapuri, dans le nord-est de New Dehli, a organisé plus de 100 funérailles par jour au cours des trois derniers jours, rapportait l’agence.

Nous avons essayé d’accueillir les crémations dans les allées et partout où nous pouvions trouver de l’espace, mais les corps ne cessaient d’affluer.

Jitender Singh Shanty, coordinateur du crématorium de Seemapuri, à l’AFP

« Nous avons dû demander aux autorités de nous permettre d’étendre l’installation jusqu’au stationnement », a ajouté le sikh. Selon Jitender Singh Shanty, son crématorium a incinéré environ 600 corps depuis le début du mois, et les familles continuent d’attendre des heures avant de pouvoir accomplir les derniers rites funéraires.

Bilan moindre que la réalité, selon des experts

Le plus grand cimetière musulman de New Delhi craint aussi de manquer de place pour enterrer les défunts.

La capitale n’est pas le seul endroit au pays aux prises avec des pénuries et un nombre de morts surpassant les capacités de ses crématoriums. Même si la nouvelle vague touchait surtout l’État du Maharashtra, dans le centre du pays, il y a un mois, elle s’est rapidement étendue un peu partout en Inde.

Les chiffres dévoilés au cours des derniers jours ne laissent pas présager de répit. Pour la seule journée de lundi, le pays recensait 2812 morts et plus de 350 000 nouvelles contaminations.

Mais le bilan officiel pourrait être moindre que la réalité, avertissent experts et responsables de l’industrie funéraire. La chaîne locale NDTV a révélé dans une enquête qu’au moins 1150 morts n’auraient pas été comptabilisés dans le décompte officiel de la ville la semaine dernière.

Avec l’Agence France-Presse et la BBC