La motion adoptée lundi dernier par la Chambre des communes dénonçant le génocide des Ouïghours n’est pas apparue dans le vide sidéral.

Les dénonciations internationales de la politique chinoise à l’égard de cette minorité musulmane du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, se sont multipliées au cours des derniers mois. Ce n’est pas encore le raz-de-marée. Mais c’est, peut-être, le début d’une vague.

La motion canadienne n’a pas eu l’assentiment du gouvernement libéral, dont les ministres se sont abstenus de voter. Reste qu’elle a été adoptée sans opposition par 266 députés, tous partis confondus. Si le gouvernement Trudeau a voulu ménager la susceptibilité de Pékin en s’abstenant de voter, il fait erreur, estime Guy Saint-Jacques, l’ancien ambassadeur du Canada en Chine.

Car pour le régime de Xi Jinping, la Chambre des communes et le pouvoir exécutif, c’est du pareil au même. La responsabilité du vote, aux yeux de Pékin, rejaillit de toute façon sur le gouvernement Trudeau.

Le Canada devient ainsi le deuxième pays à dénoncer le génocide des Ouïghours, après les États-Unis.

D’autres pourraient bientôt leur emboîter le pas. Notamment la Belgique et le Royaume-Uni, qui discutent actuellement de résolutions semblables.

Travail forcé

De son côté, l’Australie envisage d’imposer un embargo sur l’importation de biens fabriqués au Xinjiang.

On estime que 1 million d’Ouïghours ont été internés dans des prisons que les autorités chinoises dépeignent comme des centres de « formation ». Les survivants de ces camps d’internement témoignent des tortures qu’ils y ont subies, notamment des agressions sexuelles et la stérilisation forcée.

Mais hors de ces camps, plus d’un demi-million d’Ouïghours ont aussi été conscrits à des travaux forcés, notamment dans les champs de coton du Xinjiang, selon un rapport de l’anthropologue et spécialiste de la Chine Adrian Zenz, publié en décembre 2020.

La Chine produit 20 % du coton dans le monde; au moins 80 % de ce coton est récolté au Xinjiang… et sert à fabriquer des vêtements vendus par de grandes marques internationales comme Uniqlo et Gap, affirme un rapport de l’Institut australien des politiques stratégiques, publié en février 2020.

En plus du coton, le Xinjiang est aussi un producteur de tomates et de composants électroniques, que l’on peut retrouver dans des produits de consommation aussi courants que le ketchup et les téléphones cellulaires.

Tenir tête au géant

Devant ces révélations, une douzaine de grandes sociétés japonaises, dont Panasonic, viennent de rompre leurs liens avec les firmes chinoises qui tirent profit du travail forcé des Ouïghours. Ce boycottage s’ajoute à celui imposé par Washington sur le coton et les tomates du Xinjiang.

Et ce n’est pas tout.

Au début de février, plus de 180 associations de défense des droits de la personne ont publié une lettre appelant à boycotter les Jeux d’hiver de 2022, en réaction aux atrocités infligées notamment aux Ouïghours.

Et deux semaines plus tard, 58 pays ont souscrit à une initiative canadienne visant à dénoncer le recours aux détentions arbitraires de ressortissants étrangers – comme l’a fait la Chine en incarcérant deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Une personne tient une pancarte demandant la libération de Michael Kovrig et de Michael Spavor, ces deux Canadiens détenus arbitrairement en Chine depuis 2018.

Ici, il ne s’agit pas de protester contre le traitement inhumain imposé à une minorité, mais contre le kidnapping politique utilisé comme arme diplomatique.

Devant cette multiplication de gestes de pression sur Pékin, « on sent que le vent est en train de tourner », note Guy Saint-Jacques.

De plus en plus, la communauté internationale essaie de tenir tête à Pékin.

Pourquoi maintenant ? Peut-être, avance l’ex-diplomate, en raison de la profusion de rapports et de témoignages qui ont fait la lumière sur la brutalité de la répression subie par les Ouïghours depuis un an – et qui ont culminé avec un récent reportage de la BBC documentant la violence sexuelle dont sont victimes les femmes ouïghoures dans les prisons chinoises.

Ces témoignages font mouche. « Les sociétés privées sont de plus en plus inquiètes de voir leur image entachée par des liens avec le Xinjiang », observe Sophie Richardson, chercheuse à Human Rights Watch et spécialiste de la Chine.

Un dilemme de taille

Devant les abus de la Chine, la communauté internationale fait face à un dilemme, rappelle Guy Saint-Jacques. On veut bien dénoncer les politiques inhumaines chinoises. Mais pas au prix de l’accès au gigantesque marché chinois.

« L’Australie, qui a osé demander une enquête indépendante sur la pandémie de COVID-19, en paie aujourd’hui le prix commercial », dit Guy Saint-Jacques.

Ce dernier estime que la solution à ce dilemme passe par un vieux principe : l’union fait la force.

Il faut se mettre ensemble pour faire pression sur la Chine.

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine

Cette concertation internationale reste pour l’instant embryonnaire.

En attendant, à quoi peuvent bien servir des dénonciations de génocide adoptées par une poignée de pays et rejetées d’un revers de main par Pékin ?

Ces résolutions créent « une pression visant à faire en sorte que la Chine rende des comptes », dit Sophie Richardson, selon qui seuls les tribunaux peuvent vraiment établir si l’horreur qui se déroule actuellement au Xinjiang relève d’une opération génocidaire.

« Il reste indiscutable que des crimes graves sont commis contre la minorité turcophone du Xinjiang. »

Le défi, selon elle, c’est de « traduire une condamnation politique de ces crimes en une action judiciaire significative ».

Les dénonciations actuelles, dont la menace de boycotter ou déplacer les Jeux d’hiver de 2022, pourraient culminer vers un grand objectif : forcer la Chine à accepter une mission d’enquête internationale indépendante au Xinjiang.