Une analyse indépendante du contenu de l’ordinateur d’un militant indien détenu en raison de son rôle allégué dans un complot visant à renverser le gouvernement de Narendra Modi indique qu’il a été victime de piratage et que des « preuves » trouvées sur l’appareil par la police ont été montées de toutes pièces.

Plusieurs organisations de défense des droits de la personne y voient la confirmation d’une manipulation orchestrée à des fins politiques et demandent aux tribunaux d’intervenir pour faire libérer le militant en question, Rona Wilson, et une douzaine de « complices » détenus depuis plus de deux ans sur la base d’une loi antiterroriste controversée.

Les conclusions de l’analyse, menée par une firme spécialisée du Massachusetts, Arsenal Consulting, sont la confirmation du « pire cauchemar » des détenus et démontrent que les forces de l’ordre « utilisent des outils de surveillance électronique et de piratage » pour persécuter des opposants au gouvernement, relève Adam Shapiro, porte-parole de Front Line Defenders, organisation qui défend des militants des droits de la personne de nombreux pays.

« Les autorités indiennes devraient relâcher les militants ciblés, abandonner les accusations à leur encontre et tenter de déterminer qui a tenté de piéger des défenseurs reconnus des droits de la personne », souligne dans un courriel Meenakshi Ganguly, qui est directrice pour l’Asie du Sud à Human Rights Watch.

Sur son ordinateur à son insu

Le Washington Post a révélé mercredi que l’analyse effectuée par Arsenal Consulting de l’ordinateur de M. Wilson a permis de déterminer qu’une dizaine de lettres avaient été mises en mémoire à son insu avant qu’il ne soit arrêté.

L’une des lettres, qui a déjà été évoquée publiquement par la police, indiquait qu’il avait écrit à un militant maoïste pour souligner la nécessité d’acheter des armes et des munitions et encourager les membres de son organisation interdite à assassiner le premier ministre Modi.

L’analyse révèle par ailleurs que le piratage a commencé en 2016, soit quelques années avant que des manifestations violentes évoquées par les autorités pour justifier les arrestations n’aient eu lieu.

Les ennuis des accusés avec la justice ont commencé en 2018 à la suite de la commémoration du 200anniversaire d’une bataille survenue à l’époque coloniale dans le village de Bhima Koregaon, dans l’ouest du pays. Des Dalits, qui voient en cette bataille une victoire historique contre le système de castes, ont croisé le fer avec des partisans du gouvernement nationaliste hindou de M. Modi, faisant un mort et de nombreux blessés.

L’enquête policière a d’abord porté sur les affrontements, mais s’est rapidement élargie à un présumé complot contre l’État, englobant dans le processus des militants, notamment M. Wilson, connus pour leur défense de groupes marginalisés, dont les Dalits. Certains se sont vu reprocher leur appartenance au Parti communiste d’Inde, d’inspiration maoïste, qui mène une bataille armée contre le gouvernement central depuis des années.

Pas de remise en liberté pour le moment

Les tribunaux ont refusé de remettre en liberté les accusés en attendant la suite des procédures, donnant raison à l’agence indienne antiterroriste chargée du dossier, qui insiste sur la gravité des actes qui sont reprochés aux accusés.

L’organisation assure que l’analyse de l’ordinateur de M. Wilson par les forces de l’ordre indiennes n’a pas mis en lumière de manipulation et que les accusations reposaient sur une preuve « substantielle » allant bien au-delà du contenu de l’ordinateur.

Les avocats du militant ont néanmoins saisi hier un tribunal de Bombay (rebaptisé Mumbai) pour réclamer la libération immédiate de leur client.

Adam Shapiro pense qu’il y a de bonnes chances que la demande soit bien accueillie en raison de la solidité de l’analyse effectuée par Arsenal Consulting.

Salil Tripathi, un journaliste indien critique du gouvernement Modi, est plus sceptique et prédit une contre-attaque vigoureuse des autorités.

On s’attendrait dans une démocratie à ce qu’une enquête indépendante soit lancée pour faire la lumière sur ce qui s’est passé, mais ce gouvernement ne cède pas facilement. Il tend à répondre agressivement lorsqu’il est placé au pied du mur.

Salil Tripathi, journaliste indien

Tout en s’abstenant de parler de manipulation pure et simple, le journaliste, qui réside à New York, note qu’il n’est pas possible de prétendre « de manière crédible » que le groupe de militants ciblés, qui comprend notamment un poète âgé de 80 ans et un prêtre de 83 ans souffrant de parkinson, a pu vouloir orchestrer une campagne terroriste pour faire tomber le gouvernement.

« Ça n’a aucun sens », conclut-il.