(Rangoun) Les États-Unis ont formellement accusé mardi les militaires birmans d’avoir perpétré un « coup d’État », ouvrant la voie à une réduction de l’aide américaine, mais le chef de l’armée a semblé balayer les condamnations internationales et les appels à la libération d’Aung San Suu Kyi.

« Cette issue était inévitable pour le pays et c’est pourquoi nous avons dû la choisir », a déclaré le général Min Aung Hlaing, selon la page Facebook officielle de l’armée, au lendemain du putsch.

Après avoir rapidement et durement condamné l’arrestation de la cheffe de facto du gouvernement civil, et menacé d’imposer des sanctions, le gouvernement américain de Joe Biden a encore haussé le ton.

Nous sommes parvenus à la conclusion qu’Aung San Suu Kyi, la cheffe du parti au pouvoir en Birmanie, et Win Myint, le président du gouvernement élu, avaient été déposés dans un coup d’État militaire.

 Une porte-parole du gouvernement américain

Cette décision juridique bloque l’aide directe à l’État birman, mais celle-ci ne représente pas grand-chose. Tous les autres programmes d’aide américains vont aussi être réexaminés et éventuellement stoppés.

La Ligue nationale pour la démocratie (LND) a appelé sur Facebook à la « libération » immédiate de sa cheffe Aung San Suu Kyi, 75 ans, et de ses autres responsables, dénonçant une « tache dans l’histoire de l’État ». L’armée doit « reconnaître le résultat » des élections de novembre, a ajouté le parti.

« Bonne santé »

Mais un porte-parole du parti a précisé qu’aucun contact direct n’avait été noué avec elle, même si des voisins l’ont aperçue se promenant dans le jardin de sa résidence officielle entourée de murs.

« Elle marche pour faire savoir qu’elle est en bonne santé », a déclaré à l’AFP Kyi Toe.

Le putsch s’est fait sans effusion de sang, mais des soldats étaient encore déployés dans la capitale Naypyidaw, où Aung San Suu Kyi et d’autres dirigeants du parti ont été interpellés lundi à l’aube.

Selon une députée LND, qui a requis l’anonymat, la prix Nobel de la paix et le président Win Myint sont « assignés à résidence » dans la capitale. Des militaires encerclaient également les bâtiments où résident les parlementaires, la députée décrivant à l’AFP un « centre de détention à ciel ouvert ».

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers montent la garde à l’extérieur d’une maison où sont assignés à résidence des députés le 2 février 2021.

Des parlementaires ont cependant précisé avoir pu sortir mardi soir.

Contestant la validité du scrutin de novembre, remporté massivement par la LND, les militaires ont proclamé lundi l’état d’urgence pour un an, mettant fin à une parenthèse démocratique de dix ans.

Klaxons et casseroles

Au lendemain du putsch, la peur des représailles était vive dans un pays qui a vécu, depuis son indépendance en 1948, sous le joug de la dictature militaire pendant près de 50 ans.

« On a peur de critiquer ouvertement, même si nous n’aimons pas ce qu’il se passe », souligne Maung Zaw, qui tient un petit étal de viande, tandis qu’un chauffeur de taxi se dit « inquiet et effrayé ».

Aucun signe de présence militaire significative n’était visible à Rangoun, capitale économique de plus de cinq millions d’habitants, preuve de la confiance des militaires dans leur emprise sur le pays, d’après des observateurs.

Les connexions téléphoniques et l’accès à internet, très perturbés lundi, fonctionnaient à nouveau, les banques étaient rouvertes, mais l’aéroport international restait fermé.

Pressentant les évènements, Aung San Suu Kyi avait préparé un message, exhortant les Birmans à « ne pas accepter le coup d’État ».

De jeunes Birmans ont annoncé sur les réseaux sociaux une campagne de « désobéissance civile », mais elle ne s’est pas encore matérialisée dans les rues, même si mardi soir, dans le quartier commerçant de Rangoun, des habitants ont klaxonné et tapé sur des casseroles pour protester contre le coup d’État. Certains scandaient : « Vive mère Suu ».

Le coup de force de l’armée a aussi ses partisans : des centaines de promilitaires se sont rassemblés autour de la pagode Shwedagon à Rangoun, agitant le drapeau birman.

L’armée a promis d’organiser de nouvelles élections « libres et équitables », une fois que l’état d’urgence d’un an serait levé, mais beaucoup de Birmans se montraient pessimistes.

« Ils ont osé mener un coup d’État en pleine pandémie. Ils peuvent tout se permettre », a estimé le chauffeur de taxi.

Les généraux semblaient en tout cas sourds aux vives condamnations internationales.

Le président Biden a appelé l’armée à « rendre immédiatement le pouvoir », tandis que l’Union européenne a condamné le coup d’État.

Le Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni mardi en urgence, et à huis clos, n’a pas réussi à se mettre d’accord sur un texte commun, mais les négociations vont se poursuivre.

« La Chine et la Russie ont demandé plus de temps », a indiqué à l’issue de la réunion qui a duré un peu plus de deux heures un diplomate requérant l’anonymat. « Une déclaration est toujours en cours de discussion », a confirmé un autre diplomate, également sous couvert d’anonymat.

Paria à l’international

Le général Min Aung Hlaing, qui concentre désormais l’essentiel des pouvoirs, est un paria pour les capitales occidentales du fait de la répression sanglante contre la minorité musulmane rohingya, qui vaut à la Birmanie d’être accusée de « génocide » devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU.

Aung San Suu Kyi, très critiquée à l’international pour sa passivité dans cette crise qui a conduit des centaines de milliers de Rohingyas à se réfugier au Bangladesh, reste toutefois adulée dans son pays.

Longtemps exilée, « la dame de Rangoun » est rentrée en Birmanie en 1988, devenant la figure de l’opposition face à la dictature militaire. Elle a passé 15 ans en résidence surveillée avant d’être libérée par l’armée en 2010.

En 2015, la LND avait obtenu une large majorité et l’ex-dissidente avait été contrainte à un délicat partage du pouvoir avec l’armée encore très puissante.