(Islamabad) La Cour suprême du Pakistan a acquitté jeudi l’extrémiste pakistano-britannique soupçonné d’avoir enlevé et tué en 2002 le journaliste américain Daniel Pearl, ordonnant sa libération immédiate et celle de trois complices présumés.

La Cour a considéré qu’Ahmed Omar Saeed Sheikh n’avait commis « aucun délit dans cette affaire » et devait « être immédiatement libéré », a déclaré à l’AFP Mahmood Sheikh, l’un des avocats de l’accusé.

Les États-Unis se sont déclarés « outrés » par cet acquittement. « Nous appelons le gouvernement pakistanais à examiner rapidement ses options légales, y compris permettre aux États-Unis de poursuivre Sheikh pour le meurtre brutal d’un citoyen et journaliste américain », a déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki.

En avril, la haute cour de la province du Sindh (sud) avait annulé la condamnation à mort-prononcée en 2002-pour meurtre d’Omar Sheikh, 47 ans, et commué sa peine en sept années de prison pour enlèvement, une durée couverte par ses 18 ans en détention.

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Daniel Pearl a été retrouvé décapité à Karachi alors qu’il enquêtait sur les réseaux islamistes, alors très implantés dans cette ville et susceptibles d’avoir des liens avec Al-Qaïda.

Mais la province du Sindh, dont Karachi est la capitale, ainsi que les parents de Daniel Pearl et l’accusé lui-même avaient interjeté appel devant la Cour suprême.  

Deux des trois juges de la Cour suprême ont rejeté les deux premiers appels, mais ont accepté celui de l’accusé contre sa condamnation pour enlèvement « au bénéfice du doute », l’acquittant ainsi de l’ensemble des charges, selon le jugement consulté par l’AFP.

La Cour a également confirmé l’acquittement, décidé par le même tribunal du Sindh, de trois de ses complices présumés. Salman Saquib, Fahad Nasim et Sheikh Adil avaient été condamnés en juillet 2002 à la perpétuité pour avoir notamment envoyé des courriers électroniques revendiquant le rapt du journaliste.

Jeudi, le gouvernement de la province de Sindh a annoncé qu’il déposerait une demande de révision du verdict de la Cour suprême du Pakistan.

La famille de Daniel Pearl a parlé de « parodie de justice » qui « met en danger les journalistes partout » dans le monde, demandant aux autorités américaines d’intervenir.

Reporters sans Frontières a estimé que le jugement « restera le symbole de l’absolue impunité concernant les crimes violents contre les journalistes dans ce pays ».

Le jugement d’avril avait été dénoncé par le département d’État américain, qui y avait vu « un affront aux victimes du terrorisme dans le monde ».

En décembre, le ministre américain de la Justice par intérim, Jeffrey Rosen, avait déclaré que les États-Unis étaient prêts à faire en sorte qu’Omar Sheikh puisse y « être jugé ».

Daniel Pearl, 38 ans, correspondant du quotidien américain The Wall Street Journal, avait disparu le 23 janvier 2002 à Karachi, où il s’apprêtait à rencontrer un chef islamiste.

« La justice assassinée »

Il enquêtait sur les réseaux islamistes, alors très implantés dans cette ville et susceptibles d’avoir des liens avec Al-Qaïda, le réseau d’Oussama ben Laden, quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

À l’issue d’un mois d’incertitude sur son sort, sa mort avait été confirmée par l’envoi au consulat américain de Karachi d’une cassette vidéo le montrant égorgé, puis décapité.

Né à Londres dans une famille pakistanaise aisée, Omar Sheikh avait notamment étudié à la London School of Economics (LSE), avant de se rapprocher des milieux islamistes et de participer à d’autres enlèvements d’Occidentaux.

Au cours d’une première comparution devant un tribunal de Karachi en 2002, avant la diffusion de la vidéo, il s’était vanté d’avoir orchestré l’enlèvement, affirmant que le journaliste était mort. Mais il n’avait ensuite cessé de nier les faits.

Son avocat a toutefois reconnu cette semaine devant la Cour suprême qu’Omar Sheikh avait admis avoir joué un « rôle mineur » dans l’affaire, dans une lettre adressée en 2019 à la haute cour du Sindh.

Les avocats de la famille de Daniel Pearl ont quant à eux argué qu’Omar Sheikh avait joué un rôle essentiel dans l’enlèvement et la détention du journaliste, avant de le faire exécuter.

Les défenseurs de l’accusé, au contraire, ont affirmé qu’il n’était qu’un bouc émissaire et avait été initialement condamné à partir de preuves insuffisantes.

Une enquête indépendante menée pendant trois ans dans le cadre du « Pearl Project » avait démontré en 2011 qu’Omar Sheikh n’avait pas tué lui-même le journaliste, mais l’avait accusé d’avoir ordonné son exécution.

Selon Asra Nomani, une ancienne collègue et une amie de Daniel Pearl, qui avait dirigé cette enquête, c’est le Pakistanais Khaled Cheikh Mohammed (KSM selon ses initiales en anglais), le cerveau autoproclamé des attentats du 11 septembre 2001, qui l’avait exécuté.

KSM, arrêté au Pakistan en 2003, est détenu dans la prison américaine de Guantanamo, à Cuba. Un psychologue qui l’avait interrogé a affirmé que le détenu lui avait confessé avoir décapité le journaliste américain.

« En 2002, Daniel Pearl, un noble journaliste, a été brutalement massacré au Pakistan […] Aujourd’hui, 19 ans après, en 2021, la justice est assassinée », a réagi Mme Nomani auprès de l’AFP, demandant à Washington d’intervenir pour obtenir l’extradition d’Omar Sheikh.