La Milk Tea Alliance, un regroupement informel dont le nom a d’abord été lancé à la blague pour relever leur amour commun des boissons à base de thé et de lait, est devenue en quelques mois un précieux point de ralliement pour les militants prodémocratie de Thaïlande, de Hong Kong et de Taïwan.

Comme des milliers de jeunes Thaïlandais, Napassorn Saengduean manifeste depuis des semaines contre le régime autoritaire du pays.

Le 1er octobre, l’étudiante de 20 ans a cependant changé de cible pour la journée, se couvrant de feuillets autocollants (Post-it) portant des messages hostiles à la Chine lors d’un regroupement devant l’ambassade du géant asiatique à Bangkok.

« Je me suis transformée en mur Lennon vivant », dit-elle en référence à la pratique de militants prodémocratie de Hong Kong qui tapissent les murs de tels feuillets en imitant des dissidents tchèques inspirés dans les années 80 par les messages de paix du chanteur des Beatles.

PHOTO ROMEO GACAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Napassorn Saengduean

« Mon but était de condamner les actions de la Chine », dit la jeune Thaïlandaise, qui jugeait important d’exprimer sa solidarité avec les jeunes combattant les diktats de Pékin dans l’ex-colonie britannique.

La semaine dernière, des militants de Hong Kong ont manifesté devant le consulat de la Thaïlande pour signifier leur appui aux protestataires comme Mme Saengduean, faisant écho à son action. Joshua Wong, l’un des dissidents les plus connus, était du nombre.

À la fin de l’été, un militant local accusé d’avoir bafoué la loi sur la sécurité nationale mise en place par la Chine pour étouffer la contestation a salué la foule avec trois doigts levés, un geste récupéré de la série de films Hunger Games, très populaire auprès des manifestants de Bangkok.

À Taïwan, un groupe d’étudiants thaïlandais a organisé une série de manifestations au cours des derniers mois pour soutenir le mouvement de protestation en cours dans leur pays d’origine, obtenant l’appui dans la rue de nombreux acteurs de la société civile taïwanaise et de partis politiques locaux.

Expression ludique, bataille sérieuse

Ces actes de solidarité transfrontaliers résonnent avec un mouvement en ligne qui se développe de façon informelle depuis des mois sous le nom de Milk Tea Alliance, une référence aux boissons à base de thé et de lait populaires auprès des jeunes de plusieurs pays asiatiques touchés par des manifestations.

L’expression a fait son apparition au printemps après que des nationalistes chinois ont attaqué en ligne un acteur thaï connu qui semblait avoir défendu dans un message l’indépendance de Hong Kong et de Taïwan face à Pékin.

Des militants thaïs se sont portés à sa défense, usant de mèmes et de messages sarcastiques pour moquer leurs vis-à-vis chinois. Des résidants de Hong Kong et de Taïwan se sont lancés dans la mêlée, le mot-clé faisant référence à l’alliance revenant dans des milliers de messages.

Pavin Chachavalpongpun, un universitaire d’origine thaïlandaise établi à Tokyo qui soutient le mouvement de protestation en cours à Bangkok, note que les militants asiatiques qui luttent contre des régimes autoritaires de la région, Chine en tête, « dialoguent et échangent » depuis longtemps hors de la sphère publique.

La Milk Tea Alliance a rendu ces échanges publics et peut être vue dans un premier temps comme un habile exercice de marketing visant à rendre le mouvement attirant pour nombre de jeunes en utilisant des codes de communication ludiques.

La bataille menée par ses membres informels n’en demeure pas moins des plus sérieuses, relève M. Chachavalpongpun, qui identifie l’opposition aux élites traditionnelles comme le facteur unificateur des militants.

Mouvement transcendant et inclusif

Tracy Beattie, une chercheuse australienne qui étudie les interventions des protestataires thaïlandais sur les réseaux sociaux, relève par courriel que la Milk Tea Alliance est devenue en peu de temps « l’un des plus puissants mouvements en ligne de la planète » et a « transcendé le militantisme numérique pour passer aux actions physiques en moins de six mois ».

Elle a permis à des mouvements d’opposition d’établir des parallèles entre eux et de s’inspirer mutuellement à travers des manifestations croisées et le partage des leçons tirées de leurs expériences respectives.

Tracy Beattie, chercheuse australienne

Mme Beattie voit dans la popularité du mouvement une confirmation du fait que la Chine « s’avère incapable de séduire les jeunes de nombreux pays de la région ».

Le mouvement a notamment joué un rôle central dans la campagne de boycottage du film de Disney Mulan, qui a été partiellement tourné au Xinjiang, une région chinoise où une féroce répression de la population musulmane se poursuit.

Dans un courriel envoyé à La Presse cette semaine, un porte-parole de l’Alliance taïwanaise pour la démocratie thaïe a indiqué, sans préciser son identité, que la Milk Tea Alliance « unit tous ceux qui luttent contre l’autoritarisme ».

Le terme est inclusif et suggère que toute personne engagée dans une lutte pour la démocratie peut compter sur le mouvement.

Porte-parole de l’Alliance taïwanaise pour la démocratie thaïe

Napassorn Saengduean pense qu’il faut éviter que des militants de la région aux prises avec des régimes répressifs, aux Philippines ou au Cambodge, se sentent exclus de l’alliance, d’abord centrée sur la Thaïlande, Hong Kong et Taïwan.

« Nous sommes tous humains et devons nous entraider », souligne la jeune femme, qui ne prédit pas de victoire rapide face à la Chine ou le régime autoritaire en place dans son pays.

« J’ai espoir qu’on arrive à nos fins, mais ce ne sera pas facile », souligne-t-elle.