L’homme d’affaires québécois Mikael Charette s’apprêtait à rentrer chez lui, à Shanghai, une ville qui s’éveille après deux mois de confinement, quand la nouvelle est tombée, le 26 mars : Pékin a suspendu tous les permis de résidence accordés aux étrangers.

Le conseiller financier vit en Chine depuis 16 ans. Quand le coronavirus a commencé à y faire des ravages, il a décidé de se réfugier en France, avec son fils de 11 ans, le temps de laisser passer la tempête.

Il se trouve dorénavant confiné en France… incapable de retrouver sa femme, restée auprès de sa famille à Shanghai, ainsi que son entreprise, qui roule maintenant presque à plein régime.

« La décision de la Chine nous a frappés en plein front, on est un peu comme des sans-papiers », ironise Mikael Charette.

PHOTO FOURNIE PAR MIKAEL CHARETTE

Mikael Charette et son fils, Nikolas, alors qu’ils quittent la Chine pour fuir temporairement l’épidémie, fin janvier.

La situation de l’homme de 40 ans illustre bien la dualité du retour progressif à la normale en Chine, trois mois après l’apparition des premiers cas d’une maladie dévastatrice et jusque-là inconnue.

D’un côté, la vie reprend dans tout le pays, y compris dans la province de Hubei et à Wuhan, sa mégapole de 11 millions d’habitants qui s’était retrouvée au cœur de la tempête.

Mais parallèlement, la Chine barricade ses frontières, pour prévenir une éventuelle nouvelle contagion venue de l’extérieur.

« Le pays a été arrêté pendant deux mois, la priorité, maintenant, c’est de redémarrer l’économie », observe Mikael Charette.

« Les Chinois sont extrêmement anxieux au sujet de la relance économique, ils veulent ouvrir les usines le plus vite possible », renchérit André Laliberté, titulaire de la Chaire de recherche en études taïwanaises à l’université d’Ottawa.

Le défi, c’est de redémarrer le moteur économique de la Chine tout en minimisant le risque d’une nouvelle vague de contagion.

Le 26 mars, la Chine a annoncé 55 nouveaux cas d’infection, dont 54 venus de l’étranger. Les frontières ont été refermées. Les vols internationaux ont été réduits. Les Chinois de retour chez eux ont dû subir des quarantaines ultra sévères. Et les résidants étrangers ont vu leurs visas suspendus indéfiniment.

La Chine crie victoire

Le 1er avril, le président Xi Jinping est apparu pour la première en public le visage découvert, sans masque de protection, annonçant ainsi, symboliquement, la « victoire » de la Chine contre la pandémie.

Sur tout le territoire de la Chine, les masques ne sont plus obligatoires, les usines se remettent à produire, les centres commerciaux ouvrent leurs portes. Vendredi, de nombreux Chinois envoyaient des photos captées dans des bars – images impensables il y a tout juste une semaine.

Selon la firme Boston Consulting Club, à l’extérieur de la province de Hubei, 90 % des grands magasins et 95 % des établissements de restauration rapide ont ouvert leurs portes.

Pas la vie d’avant

Ce n’est pas encore tout à fait la vie d’avant. De nombreuses restrictions restent en place. À Shanghai, le métro a repris à 50 %, à Pékin, c’est 30 %, avec une limite de trois passagers par mètre carré.

PHOTO WANG ZHAO, AGENCE FRANCE-PRESSE

À Pékin, le métro a repris à 30 %, avec une limite de trois passagers par mètre carré.

Les employés qui ont repris le chemin des bureaux subissent des contrôles serrés, par l’entremise des codes apparaissant sur leur téléphone cellulaire et tenant compte de leur état de santé. Un code vert vous permet de rentrer au boulot. Un code rouge vous oblige à rester chez vous.

À Pékin, en pleine saison de floraison des cerisiers, le célèbre parc Yuyuantan a recommencé à accueillir des visiteurs. Les entrées sont limitées à 30 % de sa capacité habituelle. Et les billets ne peuvent être achetés que sur l’internet. Mais enfin, après deux mois d’isolement, les Pékinois peuvent aller voir les cerisiers en fleurs !

Ce « déconfinement » progressif ne va pas sans cafouillages. Ainsi, les cinémas ont été ouverts pendant un week-end, avant d’être fermés à nouveau.

On sent qu’il y a des incertitudes, que parmi les dirigeants, il n’y a pas toujours un consensus sur ce qu’il faut faire.

Mikael Charette

À Wuhan aussi

Wuhan émerge aussi de sa torpeur. Avec plus de prudence qu’ailleurs. L’usine PSA-Dongfeng, qui construit des autos de marque Peugeot à Wuhan, a remis en marche sa chaîne de production le 1er avril.

Les entrées vers Wuhan ont aussi été permises dès le 1er avril. Mais les habitants de la ville ne pourront pas la quitter avant le 8.

Dans les boutiques de vêtements récemment rouvertes, les vendeuses désinfectent frénétiquement les cintres et les étagères. Et les coiffeurs qui ont repris du service accueillent leurs clients dans la rue, vêtus de combinaisons de protection, comme le montre un reportage récent de France 2.

Dès qu’ils ont pu sortir de chez eux, les habitants de Wuhan se sont empressés de récupérer les cendres de leurs proches morts de la COVID-19 pour tenir des funérailles. Mais même là, des contrôles stricts demeurent. Et le nombre de personnes autorisées à se rendre au cimetière est limité.

Le grand signe d’une reprise de la vie post-endémie sera l’ouverture des écoles, qui pourrait avoir lieu à la fin d’avril.

Peur

Ce retour à la vie se fait sous le signe de la peur. La semaine dernière, quand les premiers habitants de la province de Hubei ont voulu traverser un pont vers la ville de Jiujiang, ils se sont heurtés à un barrage policier, rapportent les médias locaux. Il y aurait eu des échauffourées, selon des images qui ont circulé sur les réseaux sociaux. Tels des pestiférés, les habitants de cette province dévastée font peur.

Il faut dire que le 24 mars, la ville de Wuhan a enregistré son premier nouveau cas d’infection locale en cinq jours. Un médecin qui avait soigné un patient asymptomatique a reçu un test positif.

Une semaine plus tard, le chef de la lutte anti-coronavirus, Zhong Nanshan, l’équivalent chinois du Dr Horacio Arruda, a déclaré qu’avec « tous les pays qui prennent des mesures énergiques et efficaces l’épidémie sera sous contrôle à la fin du mois d’avril ».

Mais la menace d’une deuxième vague reste là et incite la Chine à la prudence.