Après avoir négligé pendant plusieurs semaines les risques posés par la pandémie de COVID-19, le gouvernement indien de Narendra Modi a changé radicalement de cap il y a une semaine en ordonnant le confinement pour trois semaines de la population du gigantesque pays.

« Pour sauver l’Inde et tous les Indiens, il vous sera totalement interdit de sortir de votre maison », a déclaré le premier ministre, affirmant être contraint de prendre ces « mesures draconiennes » pour endiguer la crise.

Dans une nouvelle allocution prononcée dimanche, il a présenté des excuses aux personnes dont la vie était chamboulée par sa décision, se disant particulièrement préoccupé par la situation des plus défavorisés de la société.

Cette apparente attention semble peu crédible aux yeux d’Usman, qui constate de visu depuis plusieurs jours les répercussions importantes des mesures de confinement pour nombre de résidants de New Delhi se trouvant au bas de l’échelle sociale.

« C’est un cauchemar maintenant et ça va devenir une catastrophe », a indiqué mardi en entrevue ce sociologue âgé de 30 ans, qui a décidé avec un groupe d’amis de mettre sur pied une cantine pour préparer des repas chauds pour les personnes dans le besoin.

Avec l’argent de ses membres, le groupe produit quotidiennement près de 750 repas qu’il distribue dans deux « colonies de travailleurs » placés en chômage forcé. Ils ont aussi distribué des rations alimentaires à quelques centaines de familles dans le besoin.

PHOTO DIPTENDU DUTTA, AGENCE FRANCE-PRESSW

Des femmes font la queue en suivant les indications au sol pour respecter les mesures de distanciation sociale dans un marché de Siliguri, en Inde.

Le gouvernement a prévu une aide financière limitée et aménagé des points de service pour servir des repas gratuits, mais ce soutien est largement insuffisant, forçant des millions de personnes à s’organiser tant bien que mal.

Nombre de résidants de la capitale gagnent leur vie au jour le jour et n’ont pas de réserves. Ne pas sortir et travailler, dans leur cas, équivaut à ne rien gagner et à ne rien manger, souligne Usman.

Scènes chaotiques

En réaction à l’annonce du confinement, des dizaines de milliers d’Indiens qui avaient migré dans la capitale pour travailler se sont précipités dans les gares et les terminus d’autocars dans l’espoir de retourner dans leur village d’origine, suscitant des scènes chaotiques.

Faute de place, nombre d’entre eux ont décidé de marcher, parfois sur des centaines de kilomètres.

Beaucoup de ces travailleurs ont de petits lopins de terre. Ils se disent qu’ils pourront survivre là-bas alors que c’est impossible en ville.

Usman

Ceux qui restent derrière doivent composer avec la police, qui n’hésite pas à user de la force pour convaincre les plus récalcitrants de rester cloîtrés. Même les organismes de bienfaisance dotés de passes spéciales sont parfois harcelés.

PHOTO INDRANIL MUKHERJEE, AGENCE FRANCE-PRESSE

À Bombay (Mumbai), des policiers ordonnent à des Indiens qui n’ont pas respecté les règles de confinement de faire des exercices physiques.

Usman — qui a demandé à ne pas être identifié nommément pour pouvoir parler plus librement — note que certains secteurs de la ville risquent de devenir carrément inaccessibles à mesure que les cas de COVID-19 se multiplient et que les autorités renforcent les contrôles pour isoler les foyers d’éclosion.

« Il n’y a pas vraiment de plan pour faire face à tout ça. Le gouvernement place les gens en confinement et espère que le virus ne se répandra pas », dit-il.

Manque de nourriture

La même dynamique se répète même dans les coins les plus reculés du pays, comme en témoigne une nonne bouddhiste canadienne jointe par La Presse dans un monastère isolé du nord du pays, où elle s’était rendue il y a quelques semaines pour faire une retraite.

Le petit village est complètement fermé et il est impossible de se procurer de la nourriture, souligne sœur Kittinani, qui se dit chanceuse que le monastère dispose de réserves suffisantes pour le moment.

La femme de 43 ans s’inquiète particulièrement pour les résidants les plus défavorisés. « La plupart des gens ont perdu leur travail, mais ils doivent quand même se nourrir et soutenir leur famille », relève la religieuse, qui ne peut quitter la région faute de moyens de transport.

Plusieurs experts sanitaires relèvent que le gouvernement a mis trop de temps à réagir face à la pandémie et a été contraint de miser sur un confinement à grande échelle, même si la tâche s’avère titanesque, particulièrement dans les bidonvilles, où la distanciation sociale apparaît largement impraticable.

L’Inde, qui comptait en date de mercredi 1649 cas de contamination et 41 morts, a fait très peu de tests en comparaison d’autres pays et ne dispose pas des ressources hospitalières requises pour faire face à un afflux massif de personnes contaminées souffrant de troubles respiratoires graves.

Un haut fonctionnaire du ministère de la Santé prévenait il y a quelques jours que le système risquait tout simplement d’« imploser » si le pire scénario se concrétisait et que des centaines de milliers de personnes, voire des millions, finissaient par être contaminées.

« Les dirigeants indiens ne veulent pas vraiment tester parce qu’ils vont découvrir s’ils le font combien de gens sont réellement contaminés et ils auront à les traiter alors que nous n’avons pas la capacité de le faire », relève Usman.