(Pékin) L’éditeur suédois Gui Minhai, accusé d’avoir diffusé des « informations classées », a été condamné en Chine à 10 ans d’emprisonnement, un verdict susceptible d’attiser les tensions entre Pékin et Stockholm, qui a réclamé mardi sa libération.

À la fois libraire et éditeur, Gui Minhai, 55 ans, publiait à Hong Kong des livres au contenu salace sur les dirigeants chinois. Il avait déjà été détenu en Chine entre 2015 et 2017, avant de « disparaître » à nouveau en février 2018.

Un tribunal de Ningbo (est), qui a prononcé la condamnation lundi, l’a reconnu coupable d’avoir « illégalement diffusé à l’étranger des informations classées ». La nature de ces dernières n’a pas été précisée.

PHOTO KIN CHEUNG, AP

La photo de Gui Minhai sur une pancarte réclamant sa libération en 2016.

Le tribunal a assuré dans un communiqué que l’éditeur avait demandé en 2018 à retrouver sa nationalité chinoise. Or, la Chine ne reconnaît pas de double nationalité. M. Gui « a reconnu sa culpabilité, accepté le verdict et ne fait pas appel », selon le tribunal.

Stockholm a réagi vigoureusement mardi : « Nous réclamons toujours la libération de Gui Minhai et un accès pour lui apporter une aide consulaire », a affirmé la ministre des Affaires étrangères, Ann Linde. « Nous n’avons pu ni assister au procès ni examiner les charges », a-t-elle déploré.

Les autorités suédoises ont par ailleurs convoqué l’ambassadeur de Chine en Suède.

« Nous avons pris connaissance des informations concernant la décision à l’encontre de Gui Minhai et avons demandé confirmation aux autorités chinoises à cet égard, le secrétaire d’État au ministère des affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur chinois », a annoncé à l’AFP Johan Ndisi, porte-parole du ministère.

À Pékin, un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian, a rétorqué : « La Chine est un pays régi par la loi […] les intérêts et les droits de Gui Minhai ont été entièrement protégés ».  

La Chine reconnaît M. Gui uniquement comme citoyen chinois et « s’oppose résolument » à l’ingérence d’un pays étranger « dans ses affaires intérieures et sa souveraineté judiciaire », a-t-il martelé.

PHOTO ANGELA GUI, VIA AFP

Cette photo non datée a été remise à l’AFP le 22 septembre 2017 par Angela Gui, la fille de Gui Minhai.

Interrogé par l’AFP, le ministère suédois des Affaires étrangères a rappelé mardi que la citoyenneté du pays scandinave « ne pouvait être abandonnée qu’après examen et décision » d’une agence gouvernementale.

« Gui Minhai est un ressortissant suédois », a-t-il insisté.

« Aveux » télévisés

Mighty Current, la maison d’édition de Hong Kong où travaillait Gui Minhai, profitait des libertés publiques du territoire chinois semi-autonome pour publier des livres sur la vie privée des dirigeants communistes, strictement interdits en Chine continentale.

Mais en 2015, comme quatre de ses confrères, M. Gui s’était volatilisé : il avait disparu lors de vacances en Thaïlande… avant de réapparaître dans une prison chinoise et « d’avouer » à la télévision d’État son implication dans un accident de la route en 2003.

Les autorités chinoises avaient assuré l’avoir relâché en octobre 2017, mais selon sa fille, Angela Gui, il avait été placé en résidence surveillée à Ningbo.  

M. Gui avait été de nouveau interpellé en janvier 2018 dans un train, alors qu’il se rendait à Pékin, accompagné de diplomates suédois, pour un rendez-vous médical.

Stockholm avait dénoncé cette arrestation « brutale » et « contraire aux règles internationales fondamentales sur l’aide consulaire ».

Après cette deuxième « disparition », l’éditeur-libraire était apparu à la télévision, accusant son pays d’adoption – la Suède – de l’avoir manipulé comme « un pion » et avouant « avoir enfreint la loi à son instigation ».

Ses proches, eux, dénoncent sans relâche des poursuites à caractère politique et des « aveux » télévisés forcés – une pratique courante en Chine où la justice est soumise aux directives du régime.

« Représailles » contre Stockholm

Le verdict, avec son insistance sur la citoyenneté chinoise de l’éditeur, « est clairement motivé politiquement », avec pour but « d’obliger la Suède à cesser son soutien », indique à l’AFP Patrick Poon, d’Amnistie internationale.

Les relations sino-suédoises ont été gravement perturbées depuis cinq ans par la détention de Gui Minhai.

Pékin avait encore exprimé sa colère lorsque, en novembre dernier, la ministre suédoise de la Culture avait remis à Gui Minhai, en son absence, un prix de l’association de défense des écrivains PEN.  

L’affaire fait également des vagues dans la diplomatie suédoise : l’ex-ambassadrice à Pékin, Anna Lindstedt, est renvoyée devant un tribunal pour avoir tenté de négocier début 2019 avec de mystérieux intermédiaires, prétendument proches du pouvoir chinois, la libération de Gui sans en avertir sa hiérarchie.

La condamnation de l’éditeur trahit « l’hostilité sans limite du gouvernement chinois pour ses critiques », commente Sophie Richardson, directrice Chine de l’association Human Rights Watch.