« Tempête parfaite », « cercle vicieux » : alors que le mercure s’affole dans le sud de l’Australie, des scientifiques dénoncent l’effet aggravant des changements climatiques sur les feux de brousse.

Des milliers de personnes évacuées, plus de 1300 résidences ravagées par les flammes, quelque 3,6 millions d’hectares brûlés, au moins une vingtaine de morts… Le bilan de cette saison des incendies dévastatrice continue de s’alourdir. Et la situation risque d’empirer encore au terme de ce samedi d’été austral où le mercure promettait de dépasser les 40 °C.

« La table était mise pour que cette saison soit une tempête parfaite », résume Nerilie Abram, professeure à l’Australian National University à Canberra, et auteure principale chargée de la coordination d’un récent rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Le climat australien s’est réchauffé de plus de 1 °C depuis un siècle. Et cette année, un facteur supplémentaire est venu noircir ce tableau déjà sombre : le dipôle de l’océan Indien. Surnommé l’El Niño indien dans sa phase positive, ce phénomène a notamment pour effet de réduire les précipitations dans le sud de l’Australie.

Les endroits qui brûlent en ce moment souffrent de sécheresse sévère depuis trois ans.

Nerilie Abram, professeure à l’Australian National University

« Par-dessus le marché, nous avons eu un dipôle de l’océan Indien positif très fort cette année, qui a réduit l’humidité qui se serait normalement rendue dans ces zones et a rendu le terrain propice aux incendies », explique la professeure Abram.

Cercle vicieux

Pour Joe Fontaine, chercheur en écologie des feux et chargé de cours à l’Université Murdoch, à Perth, il s’agit d’un véritable cercle vicieux. « Avec l’assèchement du climat, certaines des plantes génèrent moins de la moitié des semences qu’elles produisaient dans les années 90, et en même temps, la fréquence des incendies augmente, de sorte que les plantes sont coincées entre les deux. Quand elles ont moins de semences, elles ont besoin de plus de temps, mais malheureusement, elles en ont moins », explique M. Fontaine.

Et comme plusieurs de ses collègues qui étudient les impacts des incendies de forêt et l’état des arbres dans les années subséquentes, il craint que certaines des forêts ravagées cette saison ne s’en remettent jamais complètement.

Hausse de température

L’Australie a l’habitude des incendies de forêt et de broussaille. Mais pour les deux chercheurs australiens, ça ne fait pas de doute : s’ils sont si étendus et si intenses cette saison-ci, c’est à cause de la hausse de température liée aux changements climatiques.

« Quand vous avez une sécheresse plus chaude, vous avez plus de feux de brousse et des trucs qui, normalement, ne brûleraient pas. Alors vous avez des incendies plus intenses, sur de plus grandes zones, qui sont beaucoup plus difficiles à éteindre », dit M. Fontaine.

« À cause de la sécheresse qui dure depuis plusieurs années, la forêt tropicale, un écosystème normalement très humide, est devenue inhabituellement sèche, alors le feu s’est étendu à des zones qui n’auraient jamais brûlé », indique Mme Abram.

Ce qui se passe en Australie nous fournit un exemple concret de ce qu’est le changement climatique, souligne-t-elle. « Nous essayons de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 ou 2 °C, et si nous n’y parvenons pas, nous aurons peut-être 3 ou 4 °C. Ces chiffres paraissent tous très petits, mais l’exemple australien montre que cela fait une énorme différence. On voit ce qui arrive avec seulement un degré de réchauffement. »

Autres inquiétudes

Les scientifiques ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme en Australie. Une vingtaine d’anciens responsables de services d’incendies et des mesures d’urgence ont interpellé le premier ministre, Scott Morrison, au printemps dernier. « La politique climatique du gouvernement fédéral a mené à une augmentation de la pollution par les gaz à effet de serre au cours des quatre dernières années, mettant à risque la vie d’Australiens », lit-on dans la déclaration conjointe signée, notamment, par l’ex-patronne des services d’urgence de l’État de Victoria, particulièrement éprouvé cette année. Les spécialistes s’inquiètent également de voir la saison des incendies s’allonger, aussi bien en Australie que dans l’hémisphère Nord. L’augmentation des chevauchements entre les différentes régions de l’Australie, ainsi qu’avec les États-Unis et le Canada, va limiter les possibilités d’entraide et d’échange de ressources vitales comme les bombardiers d’eau, les camions et les pompiers, disent-ils.