Twitter a rapidement fait marche arrière, lundi, après avoir bloqué le compte d’un journaliste et défenseur des droits de la personne d’origine indienne, Salil Tripathi, qui multiplie les critiques contre le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi.

Plusieurs personnalités de renom, dont Salman Rushdie, s’étaient portées à sa défense après l’annonce de la suspension.

« C’est un acte de censure scandaleux contre l’un des plus importants défenseurs de la liberté d’expression », a déclaré dans un tweet le célèbre écrivain tout en pressant nommément le président de l’entreprise, Jack Dorsey, de rectifier le tir.

PHOTO FOURNIE PAR LE FIFA

Salman Rushdie, écrivain britannique d’origine indienne

Une autre écrivaine indienne, Nilanjana Roy, a contesté la décision en suggérant qu’elle pourrait être liée au fait que M. Tripathi a mis en ligne dimanche une vidéo dans laquelle il récite un poème condamnant la destruction de la mosquée d’Ayodhya le 6 décembre 1992 par des extrémistes hindous.

Un compte lié à des partisans du régime de Narendra Modi s’est attribué lundi matin, sans plus de précisions, la responsabilité du blocage du compte de M. Tripathi, qui a finalement pu en récupérer l’utilisation en après-midi.

En entrevue avec La Presse, le journaliste, établi à New York, s’est dit incapable de déterminer si ses messages politiques étaient à l’origine de l’intervention de Twitter, ni pourquoi elle a été annulée rapidement.

Twitter, dit-il, s’est borné à indiquer initialement qu’une liste violant le code de conduite des utilisateurs du réseau social avait été produite par M. Tripathi, qui avait réuni certains détracteurs sous l’étiquette de « malades chroniques ».

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE SALIL TRIPATHI

Salil Tripathi, journaliste et défenseur des droits de la personne d’origine indienne

C’est peut-être ça, mais je ne sais même pas si cette liste est publique. Je ne saurai peut-être jamais pourquoi j’ai été ciblé.

Salil Tripathi, journaliste et défenseur des droits de la personne d’origine indienne

Le journaliste écrit pour diverses publications indiennes et internationales et assure la défense d’écrivains emprisonnés par l’entremise du PEN club international.

L’épisode avec Twitter est complètement secondaire par rapport à ce que les journalistes vivant en Inde risquent lorsqu’ils critiquent le régime, note M. Tripathi. « Ce sont eux, les véritables héros », dit-il.

Intimidation et harcèlement

Dans une analyse exhaustive publiée il y a 10 jours dans Foreign Policy, l’intellectuel pourfendait la dérive autoritaire du régime de Narendra Modi et de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), en relevant qu’il est désormais « périlleux » de sortir des histoires susceptibles de froisser le gouvernement.

Il soulignait notamment le cas d’un journaliste de 24 ans qui a été appréhendé et battu en octobre à New Delhi par des policiers lui reprochant d’avoir voulu interroger des manifestants dénonçant le viol et le meurtre d’une adolescente.

Le commissaire de police, relate M. Tripathi, lui a demandé « pourquoi ils continuaient tous de faire ça » alors que « le pays a changé », suggérant que l’acte journalistique était en soi devenu répréhensible.

Salil Tripathi relève que des universitaires, des avocats et des artistes trop critiques connaissent aussi des ennuis avec le régime.

Une douzaine de personnes, dont un poète connu, ont notamment été appréhendées et placées en détention en lien avec un complot allégué qui aurait, au dire de la justice indienne, mené à une série de manifestations violentes dans l’État indien central du Maharashtra au début de 2018.

Les organisations de défense des droits de la personne sont aussi ciblées, comme en témoigne la décision inusitée d’Amnistie internationale de se retirer du pays, fin septembre.

La secrétaire générale de l’organisation, Julie Verhaar, a indiqué dans un communiqué que la section locale était victime d’une campagne d’intimidation et de harcèlement reflétant les efforts du gouvernement « pour faire taire les voix critiques et instaurer un climat de peur ».

« L’Inde aime être reconnue comme la plus grande démocratie de la planète. Mais il faut se demander ce qu’elle fait de mal pour qu’une des plus importantes organisations de défense des droits de l’homme soit obligée de se retirer », dit M. Tripathi.