Trois quarts de siècle ont passé, mais le risque de voir les tragédies d’Hiroshima ou de Nagasaki se répéter n’est pas écarté. La commémoration des bombardements nucléaires qui ont fait des dizaines de milliers de morts il y a 75 ans, au Japon, est aussi un rappel que la menace nucléaire est toujours d’actualité.
Deux bombes. Trois jours d’intervalle. Des dizaines de milliers de morts.
Il était 8 h 15, le matin du 6 août 1945, quand Little Boy, d’une puissance de 15 kilotonnes, a explosé ; la quasi-totalité de la ville d’Hiroshima a été rasée et plus de 70 000 personnes tuées.
Puis, le 9 août, à 11 h 02, Fat Man et ses 21 à 23 kilotonnes ont produit pratiquement le même effet à Nagasaki, tuant environ 40 000 personnes.
Les blessés succombant par la suite ont pratiquement fait doubler le nombre de morts, auquel il faut aussi ajouter les gens tués par des cancers dans les années et les décennies qui ont suivi.
Ces bombardements menés par les États-Unis ont contribué à mettre fin à la Seconde Guerre mondiale, mais ils ont aussi marqué le début de l’ère atomique.
Une ère dans laquelle nous vivons encore, souligne Michel Fortmann, professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal, avec qui La Presse s’est entretenue.
« Ce que nous rappelle Hiroshima, c’est que la menace nucléaire est toujours là. Malgré tous les progrès, l’arme nucléaire demeure la seule en mesure de détruire notre civilisation », avance le professeur.
Plus de puissances nucléaires
La plupart des observateurs s’entendent même pour dire que le risque d’un conflit nucléaire est plus élevé aujourd’hui que pendant la guerre froide, ajoute M. Fortmann.
De nouveaux pays ont rejoint le cercle restreint des puissances nucléaires, explique-t-il, évoquant le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord et Israël – bien que l’État hébreu ne le reconnaisse pas officiellement –, qui se sont ajoutés aux États-Unis, à la Russie, à la France, au Royaume-Uni et à la Chine.
Du lot, certains sont impliqués dans des conflits, comme l’Inde et le Pakistan, ou encore la Corée du Nord, dont la guerre avec le Sud n’est officiellement pas terminée – des endroits où un incident pourrait facilement dégénérer, avance-t-il.
« Au lieu d’avoir une équation nucléaire avec un [faible] nombre de risques, nous avons plusieurs situations qui peuvent dégénérer, résume M. Fortmann. Donc, mathématiquement, vous augmentez le risque. »
Cibles civiles possibles
Mais un gouvernement oserait-il, de nos jours, bombarder des cibles civiles comme les États-Unis l’ont fait en 1945 au Japon ?
Un pays comme la Corée du Nord viserait probablement des villes, car il n’a pas de missiles d’assez grande précision.
Michel Fortmann, professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal, évoquant les villes de Tokyo ou de Séoul
Les pays « nouvellement nucléaires » ont des arsenaux « relativement peu précis, qui utilisent des armes plus puissantes », explique le professeur.
En revanche, les puissances nucléaires historiques ont fait évoluer la technologie vers des armes plus précises et moins destructives.
« L’objectif est de désarmer l’opposant en évitant les dommages collatéraux, poursuit Michel Fortmann. Ça, c’est la dernière génération. »
Si la communauté internationale n’est toujours pas parvenue à éliminer la menace nucléaire, 75 ans après Hiroshima et Nagasaki, c’est en raison de l’hégémonie étatsunienne, avance Michel Fortmann.
« La supériorité militaire des États-Unis depuis les années 90 est tellement grande que pour des pays qui ne veulent pas jouer le jeu du nouvel ordre mondial, se doter de l’arme nucléaire est la seule façon de dissuader [Washington] de les attaquer », dit-il.
Succès diplomatiques
Tout n’est pas noir pour autant ; de nombreux efforts diplomatiques sont parvenus à limiter le nombre de puissances nucléaires à ce qu’il était à la fin de la guerre froide, souligne Michel Fortmann.
« C’est un succès assez important que la prolifération ne soit pas allée au-delà de ça, dit-il, mais ça ne veut pas dire qu’on peut dormir sur nos lauriers. »
D’autant que ces succès sont plus que jamais menacés, croit-il.
Jusqu’à 2016, le « régime de non-prolifération », soit l’ensemble des traités portant sur les armes nucléaires et l’affirmation répétée par des centaines d’États de leur volonté de ne pas se nucléariser, était solide.
Mais l’élection de Donald Trump, qui a retiré les États-Unis d’un certain nombre de traités et qui projette d’en déchirer d’autres, a durablement fissuré les bases fragiles de ce régime, estime Michel Fortmann.
« Il faut un leader, un pays ou un groupe de pays qui dynamise l’ensemble. Le contrôle des armements, c’est comme une bicyclette : quand ça n’avance pas, ça tombe », ajoute-t-il, paraphrasant une réplique du film Les aventures de Rabbi Jacob.
La présidence Trump a été une catastrophe pour le contrôle des armements.
Michel Fortmann, professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal
Réduire la menace nucléaire passe inévitablement par l’approche de la non-prolifération, qui mise sur la maîtrise des armes et la diminution progressive des stocks, et non par l’armement dissuasif, croit Michel Fortmann.
« La dissuasion a toujours le risque de faire défaut, dit-il. On a eu de la chance pendant 75 ans, mais est-ce qu’on va continuer à avoir de la chance ? »
Des bombes (un peu) canadiennes
Les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki étaient en partie canadiennes, en raison notamment de la participation du Canada au projet Manhattan, le programme de recherche étatsunien qui a mené à leur production. Le Laboratoire de Montréal a été mis sur pied en 1942 pour participer aux recherches, avec des spécialistes britanniques et français. Or, d’un point de vue scientifique, « la contribution du Canada a été proche de zéro », nuance le professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal Michel Fortmann. C’est donc surtout parce qu’elles ont été fabriquées en partie avec de l’uranium extrait de mines canadiennes que ces bombes avaient quelque chose de canadien.