Les résidants de Hong Kong ne peuvent pas se réunir cette année par dizaines de milliers dans les rues pour commémorer, comme ils le font depuis 30 ans, la répression sanglante du soulèvement de la place Tiananmen survenu en 1989.

Le gouvernement local a interdit pour la première fois la tenue de la veillée traditionnelle du 4 juin en relevant que les rassemblements d’envergure sont interdits en raison des risques sanitaires liés à la pandémie de COVID-19.

La décision a suscité des accusations de censure parmi les organisateurs de l’évènement, alimentant les tensions alors qu’une polémique fait rage relativement à la volonté du gouvernement chinois d’imposer à l’ex-colonie britannique une loi sur la sécurité nationale jugée liberticide par ses détracteurs.

Gloria Fung, militante canadienne originaire de Hong Kong, estime que Pékin se sert de la pandémie comme d’un « prétexte » pour interdire la veillée, puisque la situation sanitaire là-bas est presque revenue à la normale.

Elle craint que l’interdiction ne se répète à l’avenir puisqu’il est évident, à ses yeux, que le régime chinois entend revenir sur l’approche « un pays, deux systèmes » prévoyant le maintien des droits et libertés importants dont disposent traditionnellement les résidants de l’ex-colonie.

« Ils veulent que Hong Kong devienne comme n’importe quelle autre ville de Chine continentale », relève Mme Fung, qui insiste sur l’importance symbolique de la veillée.

Elle envoie le message « qu’il y a encore en Chine un endroit où il est possible de critiquer l’autoritarisme du régime », indique la résidante de Toronto, qui a été personnellement témoin en 1989 de la répression sanglante survenue à la place Tiananmen.

PHOTO CATHERINE HENRIETTE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Place Tiananmen, en juin 1989, le gouvernement chinois avait mis un terme à des manifestations étudiantes d’envergure par une intervention militaire.

« Un trou noir »

Dans une rencontre organisée par des opposants au régime chinois sur Facebook mercredi, un ancien étudiant qui avait participé au soulèvement, Zhou Fengsuo, a déclaré que Pékin voulait « créer un trou noir » et faire disparaître tout souvenir des victimes du soulèvement.

Le dissident, qui vit aux États-Unis, a expliqué que la veillée annuelle tenue à Hong Kong était vue comme une source d’espoir par les personnes qui étaient présentes à la place Tiananmen.

Faute de pouvoir réunir les gens dans la rue, les organisateurs ont invité la population de l’ex-colonie à allumer une bougie en soirée jeudi pour rappeler les évènements de 1989.

Le gouvernement chinois avait mis un terme au début de juin de cette année-là à des manifestations étudiantes d’envergure par une intervention militaire suivie par une vague d’arrestations.

Human Rights Watch a dénoncé mercredi l’impunité des responsables de la répression de l’époque et l’absence de pressions conséquentes de la communauté internationale en arguant que cette approche timorée avait encouragé Pékin à multiplier les coups de force au fil des ans.

L’organisation estime que l’imposition annoncée d’une loi sur la sécurité nationale pour Hong Kong, qui doit officiellement permettre de lutter contre toute forme de séparatisme, de subversion, de terrorisme et d’ingérence étrangère, s’inscrit dans cette tendance.

Conflit diplomatique

Le gouvernement chinois maintient que cette loi est nécessaire pour rétablir l’ordre dans l’ex-colonie, qui a été secouée l’année dernière par une longue série de manifestations visant à défendre les droits et libertés protégés par l’accord de rétrocession conclu entre la Chine et la Grande-Bretagne.

Pékin, assurait mercredi le Global Times, un journal proche du régime communiste chinois, n’a aucune intention de mettre fin à l’approche « un pays, deux systèmes » et entend préserver le caractère « démocratique » de Hong Kong.

Le gouvernement américain, qui a maille à partir avec la Chine depuis des mois, ne le croit pas. Le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a indiqué mercredi que l’interdiction de la veillée à Hong Kong démontrait « déjà » les visées répressives poursuivies avec la loi sur la sécurité nationale.

Il n’y a aucun doute que l’objectif de Pékin est de priver les gens de Hong Kong de leur voix.

Mike Pompeo, secrétaire d’État américain

Sarah Cook, une spécialiste de la Chine rattachée à l'ONG Freedom House, note que la décision du régime communiste d’introduire la loi en « contournant complètement » le gouvernement local montre à quel point elle mine déjà l’autonomie de l’ex-colonie.

La Grande-Bretagne a aussi demandé à Pékin de renoncer à la loi sur la sécurité nationale. Le premier ministre Boris Johnson a précisé que son gouvernement pourrait, dans le cas contraire, permettre à des millions de ressortissants de l’ex-colonie de migrer dans son pays.

Son intervention a été vivement dénoncée par le ministère des Affaires étrangères de Chine. Son porte-parole, Zhao Lijian, cité par l’Agence France-Presse, a prévenu mercredi qu’il y aurait des « conséquences » si Londres poursuivait sa « grossière ingérence » dans les affaires chinoises.