L’Australie vit un sursaut religieux. Le gouvernement envisage une loi qui protégerait les individus si leurs convictions religieuses vont à l’encontre des lois anti-discrimination. Le pays des kangourous a aussi permis à un groupe autochtone de restreindre au public l’accès à une montagne sacrée populaire auprès des randonneurs.

Discrimination religieuse

Le printemps dernier, Israel Folau, l’étoile de rugby australienne, a écrit sur Instagram que les homosexuels allaient en enfer. Rugby Australia l’a congédié. Une nouvelle loi vise à protéger de telles opinions si elles sont basées sur la religion. La « loi sur la liberté de religion » interdira notamment des sanctions disciplinaires visant des employés à cause de comportements inspirés de leurs convictions religieuses. Des marchands et des professionnels pourraient également s’en servir pour éviter de prendre certains clients. « C’est un changement très important », estime Marion Maddox, politologue spécialiste de la religion à l’Université Macquarie, à Sydney. « Le gouvernement veut séduire les conservateurs chrétiens blancs, sa base électorale. Certains juristes pensent que la loi pourrait être anticonstitutionnelle. Cela dit, elle ne fait qu’étendre aux individus les protections contre la discrimination religieuse qui couvrent déjà des institutions. Des écoles privées religieuses, par exemple, peuvent exclure certains élèves et enseignants, même si elles reçoivent des fonds publics. »

Uluru ou Ayers Rock

Uluru, jusqu’à récemment appelée Ayers Rock, est une petite montagne rouge située en plein milieu de l’Australie, dans un parc national. À partir des années 60, l’ascension de la montagne est devenue une activité touristique de plus en plus prisée. Depuis le milieu des années 80, Uluru fait partie d’un territoire administré par les autochtones Pitjantjatjara Anangu. En octobre dernier, les autochtones ont décidé d’interdire l’ascension d’Uluru, alléguant qu’il s’agissait d’une montagne sacrée. « Ça fait partie d’une acceptation de plus en plus grande dans la société australienne que la culture autochtone est en fait, souvent, basée sur des convictions religieuses tout aussi valides que le christianisme, explique Marion Maddox. Certains ont protesté, mais je crois que, pour la majorité de la population australienne, les autochtones ont le droit de protéger leurs lieux sacrés. »

Possible au Canada ?

« Je suis flabbergasté, je n’ai qu’un mot en anglais pour décrire mon opinion de ce projet de loi », estime Louis-Philippe Lampron, spécialiste des questions religieuses à la faculté de droit de l’Université Laval. « Ça me fait penser à ce pâtissier aux États-Unis qui ne voulait pas faire de gâteau pour un mariage homosexuel. Est-ce que ça serait possible au Canada ? Tout dépendra de la décision finale concernant l’utilisation de la clause dérogatoire pour la Loi sur la laïcité. » Me Lampron, tout comme ses collègues Michel Morin et Jean-François Gaudreault-Desbiens de l’Université de Montréal, souligne que l’Australie n’a pas, comme le Canada, une charte des droits ayant une valeur constitutionnelle. « La protection envisagée dans ces projets de loi embrasserait très large, vraisemblablement trop dans une perspective canadienne », estime MGaudreault-Desbiens.

Médecine et religion

Me Lampron souligne toutefois que la loi australienne introduit une protection qui existe au Canada, pour les professionnels de la santé. « Pour l’avortement ou l’aide médicale à mourir, par exemple, un médecin peut invoquer ses convictions personnelles pour ne pas fournir le traitement. » Cela s’étend-il à la contraception ? « Il faudrait voir », dit Me Lampron. Me Morin souligne que cette protection de la liberté de conscience peut poser problème dans une région où il y a peu de médecins. Me Gaudreault-Desbiens ajoute que les médecins ont dans ce cas une obligation de référence à un autre collègue, obligation confirmée par les tribunaux dans un cas où un médecin alléguait que cette référence était aussi un accroc à ses convictions religieuses.

En chiffres

• 52 % de la population australienne se dit chrétienne
• 30 % de la population australienne se dit sans religion
• 3 % de la population australienne se dit musulmane
• 2 % de la population australienne se dit hindouiste
• 2 % de la population australienne se dit bouddhiste
• 0,4 % de la population australienne se dit juive
Source : gouvernement de l’Australie

Précision: une version précédente de ce texte indiquait qu'Uluru était jusqu'à maintenant nommé Ayer's Cliff.