Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se perd en superlatifs pour saluer la manière dont le gouvernement chinois gère la crise suscitée par l’apparition d’un nouveau coronavirus, des voix critiques se font entendre.

Un groupe de recherche rattaché à l’Université de Hong Kong, le China Media Project, a notamment diffusé il y a quelques jours le témoignage d’un journaliste chinois d’expérience qui se trouve pris dans la ville de Wuhan en raison de la quarantaine imposée par Pékin.

L’auteur, qui utilise le nom de plume Da Shiji pour éviter les représailles de l’État, dénonce la manière dont les autorités chinoises ont réagi dans un premier temps à l’apparition du virus, au niveau tant local que national.

Leur priorité initiale, accuse-t-il, a été de « contenir et supprimer l’information à propos de la maladie », ce qui a permis au coronavirus de se propager pendant 40 jours à partir de son apparition début décembre sans qu’aucune « action décisive » soit prise pour stopper sa propagation.

La commission médicale locale a notamment émis fin décembre un avis interdisant à tout travailleur de la santé de diffuser de l’information à ce sujet.

La police a parallèlement fait grand cas, pour appuyer le message, de l’arrestation de huit personnes accusées de propager des rumeurs.

« Ne pas informer la population »

Même après que l’OMS a été formellement avisée de la situation, les autorités ont continué à « ne pas informer la population » pendant des jours, relève Da Shiji, qui reproche aux responsables locaux d’avoir continué au-delà de la mi-janvier à se comporter publiquement comme si tout était sous contrôle.

Ils ont notamment permis, dit-il, un énorme banquet réunissant 40 000 résidants de la ville et ont continué à envoyer des invitations pour attirer des visiteurs à Wuhan à l’occasion du Nouvel An chinois au « moment le plus critique pour contrôler l’épidémie ».

PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, ASSOCIATED PRESS

Le président de la Chine, Xi Jinping

Ce n’est qu’après une intervention publique du président Xi Jinping le 20 janvier que l’ampleur de la crise a commencé à être révélée, souligne Da Shiji, qui reproche aux autorités d’avoir imposé la quarantaine de Wuhan et de plusieurs autres villes en catastrophe, sans préparation appropriée.

Le coût social de la préoccupation

Le nombre de cas relevés en Chine n’a cessé d’augmenter rapidement depuis. Il atteignait samedi (heure locale) un total de 11 791. Dans les dernières 24 heures seulement, le virus a fait 46 morts supplémentaires, ont annoncé samedi les autorités sanitaires locales. Après ce nouveau record quotidien, le total national de l’épidémie passe à 259 morts.

Une vingtaine de pays sont par ailleurs touchés.

Dali Yang, professeur de science politique rattaché à l’Université de Chicago, a aussi détaillé cette semaine sur Twitter les efforts des élus pour étouffer dans un premier temps les informations relativement au nouveau virus.

La crise qui en résulte illustre, selon lui, le coût social de la préoccupation des dirigeants chinois pour le « maintien de la stabilité » politique.

Dans un bref échange avec La Presse par courriel, il a indiqué vendredi que l’OMS était obligée à l’heure actuelle de se montrer conciliante envers la Chine, qui a pris, selon lui, des « mesures exceptionnelles » après avoir connu des « faiblesses » dans la phase initiale de la crise.

« Acte d’équilibriste politique »

L’organisation internationale, souligne M. Yang, a besoin de l’aide de Pékin pour gérer la crise actuelle et les futures épidémies, et doit se livrer à un « acte d’équilibriste politique » pour agir contre le coronavirus sans brûler les ponts avec le régime communiste.

Jo Kim, expert en politique internationale, relève dans une analyse parue cette semaine dans une revue diplomatique que les médias officiels chinois, après avoir trop longtemps ignoré la crise, cherchent aujourd’hui à faire porter le blâme pour les ratés observés aux élus de Wuhan et la province de Hubei.

Selon l’Agence France Presse, le plus important responsable politique de la ville, Ma Quoqiang, a déclaré vendredi dans une entrevue à la télévision d’État qu’il était « envahi par la culpabilité » en raison de la manière dont il a géré la crise.

« Si j’avais pris plus tôt des mesures fortes de restrictions, le résultat aurait été meilleur que ce qu’il est aujourd’hui. »

— Ma Quoqiang, plus important responsable politique de Wuhan

Malgré les mises en garde de l’OMS, qui juge contre-productives les limitations sur le commerce avec la Chine et les voyages dans le pays, maints gouvernements ont annoncé vendredi l’adoption de nouvelles mesures visant à limiter leurs échanges avec le géant asiatique, alors que d’autres poursuivaient l’évacuation de ressortissants pris dans la région de Wuhan.

Le Viêtnam a notamment indiqué qu’il entendait interdire l’entrée sur son territoire de toute personne ayant séjourné en Chine dans les deux semaines précédentes, comme Singapour et la Malaisie.

D’autres compagnies aériennes ont annoncé la suspension de tous les vols vers Pékin, au grand dam du régime chinois, qui dénonce le recours à des mesures « excessives » découlant d’un sentiment de panique « inutile ».