(Islamabad) L’échec des pourparlers sur l’Afghanistan entre les États-Unis et les talibans constitue un revers majeur pour le Pakistan, qui espérait que ses efforts pour amener les extrémistes afghans à la table des négociations seraient récompensés alors qu’il s’empoigne à nouveau avec l’Inde sur le Cachemire.

Accusé par Washington, Kaboul, ou encore New Delhi de soutenir des groupes terroristes, notamment en Afghanistan, Islamabad a besoin de capital politique s’il veut faire pencher la balance en sa faveur au sujet du Cachemire.

Début août, New Delhi a révoqué l’autonomie constitutionnelle de la partie du Cachemire qu’il contrôle et qu’Islamabad revendique, ce qui a provoqué une nouvelle flambée de tensions entre les deux voisins.

Pakistan et Inde se disputent le Cachemire depuis leur indépendance et leur partition en 1947. Les deux puissances nucléaires se sont livré deux guerres pour ce territoire montagneux peuplé majoritairement de musulmans.

Aider les États-Unis à négocier le retrait de leurs troupes d’Afghanistan en échange de plusieurs garanties des talibans était en ce sens vu comme une occasion en or de regagner les faveurs de Washington.

En juillet, la stratégie a semblé fonctionner, Donald Trump ayant invité le premier ministre pakistanais Imran Khan à Washington. Le président américain avait même offert de servir de médiateur entre les deux voisins au sujet du Cachemire, ce que New Delhi avait refusé.

Mais alors que M. Khan ne cesse d’alerter sur les risques d’un « génocide imminent » au Cachemire indien, M. Trump a brusquement mis fin aux pourparlers de paix américano-talibans, annulant un an d’efforts laborieux pour conclure un accord avec les insurgés.

« Impasse »

« Tant que le Pakistan n’aura pas réglé la question de l’Afghanistan, il ne sera pas facile pour lui de répondre à l’action de l’Inde au Cachemire », observe Myra MacDonald, spécialiste de l’extrémisme au Cachemire. Islamabad se trouve actuellement dans « une impasse », poursuit-elle, interrogée par l’AFP.

Imran Khan, qui a promis de défendre la cause des Cachemiris lors d’un discours vendredi devant l’Assemblée générale de l’ONU, a déclaré qu’il rencontrerait lundi M. Trump pour l’exhorter à reprendre les discussions avec les talibans.

« Ce serait une grande tragédie si ces pourparlers n’avançaient pas », a-t-il déclaré la semaine dernière à la presse. « Nous consacrerons toutes nos forces à cette question. »

Mais la participation dimanche de Donald Trump à un grand meeting à Houston en l’honneur du premier ministre indien Narendra Modi n’augure rien de bon pour le Pakistan. Le président américain y a qualifié d’« exceptionnelle » l’action de M. Modi.

Imran Khan, après un an au pouvoir, doit en outre faire face à une grogne populaire en raison des difficultés de l’économie pakistanaise.

Son gouvernement a multiplié les taxes tout en réduisant ses dépenses conformément à un accord de prêt de 6 milliards de dollars signé avec le Fonds monétaire international (FMI) cet été.

Le mois prochain, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) doit en outre rendre sa décision sur le Pakistan. Cette institution, basée à Paris, a menacé de placer Islamabad sur une liste noire pour ne pas avoir combattu le financement du terrorisme. Une telle mesure aurait de lourdes conséquences pour le pays.

« Revers »

« Le Pakistan reste dans une situation financière précaire et pourrait vraiment avoir besoin de la bonne volonté des États-Unis et de leurs alliés », remarque Graeme Smith, consultant pour l’International Crisis Group.

La fin des pourparlers et l’imprévisibilité de l’administration Trump constituent en ce sens autant de d’inquiétudes pour Islamabad, qui espérait aussi l’aide de Washington pour atténuer ses difficultés financières.

« Le Pakistan a beaucoup investi dans ces pourparlers », estime l’analyste Zahid Hussain. « Cette fin abrupte […] est un revers. »

D’autant que le Pakistan, accusé par Washington et Kaboul d’accorder refuge aux talibans sur son territoire, ce qu’il nie, risque désormais d’être soumis à une pression croissante des États-Unis sur son action en Afghanistan, selon l’expert sécuritaire Rahimullah Yusufzai.

Les rebelles, qui ont promis plus de violences, ont laissé la porte ouverte à une poursuite des discussions avec les États-Unis. Ceux-ci, à l’inverse, ont répété que les rebelles devaient d’abord stopper leur bain de sang en Afghanistan.

Washington va demander à Islamabad de « faire plus » pression sur les talibans, imagine M. Yusufzai.

La situation n’est en ce sens pas perdue pour le Pakistan, selon l’experte militaire pakistanaise Ayesha Siddiqa.

Islamabad garde « une influence considérable pour parler aux talibans, voire pour les obliger d’agir totalement selon ses désirs », affirme-t-elle. « Ils peuvent essayer de les convaincre. »