Un « mandat historique ». Un gouvernement majoritaire sans coalition. Un « tour de force ». Hier, tous les qualificatifs étaient bons pour parler de la réélection en Inde de Narendra Modi et de son parti, le BJP. Une victoire par K.-O. que peu avaient prédite. Retour sur le parcours politique d’exception d’un ancien vendeur de thé qui, avant de devenir premier ministre de l’Inde, a été son enfant terrible.

Un mandat historique

En Inde, un des pays les plus pluriels du monde avec une immense population de 1,3 milliard d’habitants et près de 3000 partis politiques, la politique est une affaire de coalition. Cependant, hier, le parti du premier ministre sortant, Narendra Modi, était en voie de mettre la main sur plus de 304 sièges, soit 32 de plus que les 272 nécessaires pour atteindre la majorité de la Chambre du peuple du Parlement indien, le Lok Sabha, qui en compte 543. « Personne ne s’attendait à ce que Modi remporte toute l’Inde excepté une partie du Sud. Il a obtenu un mandat historique et il n’aura pas besoin d’alliance pour gouverner », note Karine Bates, chercheuse au Centre d’études en relations internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). M. Modi, qui a remporté sa première campagne nationale en 2014, met ainsi la main sur un deuxième mandat de cinq ans. Les élections elles-mêmes passent à l’histoire en tant que plus grand scrutin démocratique jamais tenu. Près de 67 % des 900 millions d’électeurs inscrits se sont présentés aux urnes.

Une popularité exceptionnelle

PHOTO SAUMYA KHANDELWAL, THE NEW YORK TIMES

À mesure que se confirmait la victoire de Modi, des militants du parti fêtaient leur victoire, près du siège du BJP, en allumant des pétards et en dansant au rythme de tambours.

Tous les experts s’entendent pour dire que la victoire du BJP repose sur les épaules de Narendra Modi. Selon les sondages, un électeur sur trois a voté uniquement pour donner un appui direct au premier ministre issu de la mouvance nationaliste hindoue, plutôt qu’à son parti. « Il est très charismatique quand il fait des discours. Il donne une image de grand-père qui veille sur l’Inde, note Karine Bates. De plus, il est très présent sur le terrain et sur les réseaux sociaux. Il atteint les gens directement dans leur téléphone cellulaire, dans leur maison », dit la professeure d’anthropologie qui a passé au cours des ans beaucoup de temps à discuter avec les électeurs indiens, tant dans les villes que dans les bidonvilles et les campagnes.

L’homme anti-élite

Les débuts humbles de M. Modi, aujourd’hui âgé de 68 ans, ne sont pas non plus étrangers à sa popularité dans un pays où 24 % de la population vit avec moins de 1,25 $US par jour. Enfant de caste désavantagée, il vendait du thé dans une station de train de son Gujarat natal pour soutenir sa famille. M. Modi aime bien d’ailleurs rappeler le lien que ce passé lui permet d’établir avec ses électeurs. Le discours d’hier n’a pas fait exception. « La victoire électorale est celle de la mère qui désespérait d’avoir accès à des toilettes. C’est la victoire du fermier qui sue pour remplir l’estomac des autres », a-t-il dit en acceptant la victoire. Les experts notent tous que les antécédents de M. Modi tranchent avec ceux de la dynastie Nehru-Gandhi qui a dominé le parti du Congrès et la politique indienne pendant la grande majorité des sept dernières décennies. Hier, Rahul Gandhi, qui se présentait à la tête du parti, a encaissé un des pires camouflets de l’histoire du Congrès, ne remportant qu’une cinquantaine de sièges et perdant le siège de député que sa famille détenait depuis des décennies.

Le nationaliste hindou

Populaire auprès d’une partie de l’électorat, Narendra Modi est aussi l’une des figures les plus controversées de la politique indienne. Dès l’âge de 8 ans, il s’est intéressé au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), organisme d’extrême droite hindou prônant la suprématie des valeurs hindouistes dans un pays pourtant multiculturel et multireligieux. Au cours des 40 années qui ont suivi, il a gravi les échelons du RSS, puis du BJP, l’aile politique du mouvement nationaliste. En 2001, à l’âge de 50 ans, il a été élu « chief minister » du Gujarat, soit l’équivalent d’un premier ministre provincial au Canada. L’année suivante, il était à la tête de son État natal quand des émeutes interreligieuses ont coûté la vie à près de 1000 personnes. La grande majorité des victimes étaient des musulmans. Beaucoup d’Indiens croient que Narendra Modi a fomenté cette violence ou, du moins, qu’il n’a rien fait pour l’arrêter. Lors de la campagne qui vient de se terminer, des candidats du BJP ont tenu des propos très violents à l’égard d’immigrés musulmans en provenance du Bangladesh, les comparant à des « termites ».

Le « gardien de l’Inde »

En 2014, lors de sa première campagne nationale, Narendra Modi s’était présenté comme le sauveur de l’économie indienne. En 2019, devant un bilan mitigé en matière économique, le politicien nationaliste a davantage vanté ses habiletés de « gardien de l’Inde », ou chowkidar, qui a réussi à ramener son pays dans la cour des grands du monde en se tenant debout devant la Chine, en resserrant ses liens avec les États-Unis, mais surtout, en ne craignant pas de prendre de front le frère ennemi, le Pakistan, quitte à frôler la guerre. Les experts notent que sa popularité a monté en flèche après un attentat terroriste au Cachemire le 14 février. Il s’est alors lancé dans une campagne tous azimuts sur la sécurité nationale, message qui semble avoir trouvé une grande résonance au sein du plus grand électorat du monde.