Le gouvernement nationaliste hindou de l’Inde a mis le feu aux poudres dans le pays en révisant les conditions d’accession à la citoyenneté d’une manière jugée discriminatoire envers les musulmans.

Des manifestations d’envergure ont eu lieu dans plusieurs villes depuis l’adoption de la réforme, il y a une semaine.

Une demi-douzaine de personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont fait scandale dimanche en intervenant de manière musclée dans une université de New Delhi.

Mardi, une foule de manifestants dans un quartier à majorité musulmane de la capitale a lancé des pierres contre des policiers, qui ont répliqué avec des gaz lacrymogènes, selon un compte rendu de l’Agence France-Presse.

Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté parallèlement à Calcutta, à l’appel d’opposants politiques du premier ministre Narendra Modi.

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Narendra Modi, premier ministre de l’Inde

Le dirigeant du Bharatiya Janata Party (BJP) multiplie depuis quelques jours les appels au calme, arguant notamment sur Twitter que les modifications apportées à la loi sur la citoyenneté « ne toucheront aucun Indien, quelle que soit sa foi ».

Elles s’appliquent « seulement à ceux qui ont fait face à des années de persécution à l’extérieur du pays et qui n’ont aucune autre place où aller que l’Inde », a souligné M. Modi.

Les modifications visent à permettre la naturalisation de migrants de confession non musulmane provenant d’Afghanistan, du Pakistan et du Bangladesh qui sont établis en Inde depuis au moins cinq ans.

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Le mouvement de contestation a atteint Guwahati, au nord-est du pays.

Des craintes dans le nord-est du pays

Serge Granger, spécialiste de l’Inde rattaché à l’Université de Sherbrooke, note que le gouvernement dit officiellement vouloir agir pour protéger les minorités religieuses de ces pays à majorité musulmane.

Sa véritable motivation est de nature politique et s’inscrit, dit-il, dans une série d’initiatives du BJP visant à imposer un virage confessionnel à l’État indien qui va à l’encontre de ses fondements laïques.

Une contestation judiciaire a d’ailleurs été lancée devant la Cour suprême par des groupes de défense des droits de la personne qui jugent l’initiative contraire à la Constitution.

Le fait de faciliter l’accès à la citoyenneté de migrants non musulmans soulève des craintes prononcées dans le nord-est du pays, dans l’État d’Assam, où existe un précaire équilibre confessionnel.

Les musulmans, souligne M. Granger, craignent notamment que la nouvelle politique en matière de citoyenneté entraîne un afflux d’hindous du Bangladesh voisin et fragilise leur communauté.

Leurs craintes sont exacerbées par la volonté du gouvernement de se livrer, à l’échelle du pays, un exercice de vérification de citoyenneté devant menant à l’établissement d’un registre national excluant les immigrants illégaux.

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Des étudiants ont protesté dans les rues de Calcutta.

L’expérience s’est déjà déroulée dans l’État d’Assam, où près de 2 millions de personnes ont été écartées et risquent désormais de se retrouver apatrides.

Meenakshi Ganguly, responsable de l’Asie du Sud à Human Rights Watch, note que de nombreuses personnes défavorisées vivant depuis longtemps dans le pays ont été exclues simplement parce qu’elles ne pouvaient obtenir les documents officiels requis par l’État.

L’organisation estime que l’objectif premier du registre est de priver les musulmans de leurs « droits citoyens ».

Des « armes de polarisation massive »

M. Granger estime que la volonté affichée du BJP de lutter, avec ce registre, contre l’immigration illégale, en particulier musulmane, est une posture susceptible de plaire à la majorité hindoue de l’Inde.

Elle risque cependant d’entraîner des maux de tête pour les autorités si elles ont réellement l’intention de procéder à des expulsions.

« Refouler, c’est plus facile à dire qu’à faire », souligne l’universitaire, qui se demande notamment si les pays d’où sont originaires les migrants accepteraient de tels renvois, en particulier dans le cas de personnes établies en Inde depuis des décennies.

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À New Delhi, les policiers ont répliqué avec des gaz lacrymogènes.

L’élaboration d’un registre national risque par ailleurs d’être compliquée par les opposants politiques du BJP.

La cheffe de l’exécutif du Bengale occidentale, Mamata Banerjee, a notamment prévenu que son gouvernement s’opposerait avec détermination aux dernières réformes pilotées par Narendra Modi, quitte à finir en prison.

« S’ils veulent mettre ça en place dans le Bengale, ils devront me passer sur le corps », a-t-elle indiqué.

Le député Rahul Ghandi a assuré sur Twitter que le Parti du Congrès, principale formation de l’opposition, ferait aussi barrage à la modification des règles d’accessibilité à la citoyenneté et au registre national, décrits comme des « armes de polarisation massive ».