La lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, qui a longtemps eu maille à partir avec les militaires de son pays, s’est portée à leur défense hier en niant devant un tribunal onusien qu’ils aient pu commettre un génocide envers les Rohingya.

La politicienne a indiqué que l’armée avait réagi à la fin de 2016 à l’action d’un groupe d’insurgés lié à cette minorité musulmane et que le conflit armé résultant dans l’État d’Arakan (que le régime appelle Rakhine) avait « tragiquement » précipité l’exode d’une part importante de la population.

Elle a affirmé que la situation dans la zone était « complexe » et ne correspondait en rien au scénario dépeint par la Gambie, dans sa plainte soumise au nom de l’Organisation de la coopération islamique devant la Cour internationale de justice, en novembre.

Le pays africain, faisant écho à des rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de plusieurs organisations de défense des droits de la personne, affirme que les « opérations de nettoyage » menées par l’armée visaient à « détruire les Rohingya comme groupe, en tout ou en partie », et qu’ils se poursuivent.

Les militaires, souligne la plainte, ont utilisé pour atteindre leur objectif « le meurtre de masse, le viol et d’autres formes de violence sexuelle ainsi que la destruction officielle des villages [rohingya], souvent avec des habitants enfermés dans leurs maisons en feu ».

On estime que plusieurs milliers de Rohingya ont été tués et que 700 000 d’entre eux ont fui le pays pendant les « opérations de nettoyage » de l’armée pour se réfugier au Bangladesh, où ils vivent aujourd’hui dans des conditions matérielles difficiles, sans possibilité réelle de retour.

Dans un rapport paru en août, une mission d’enquête des Nations unies a relevé que l’armée birmane avait largement utilisé la violence sexuelle pour « terroriser et punir les minorités ethniques » et que l’intensité de ces actions durant les opérations dans l’État d’Arakan témoignait de visées génocidaires.

« Certains cas », dit Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi a fait peu de cas de ces observations mercredi, se bornant à reconnaître qu’il « n’était pas possible d’exclure qu’une force disproportionnée ait été utilisée » par des soldats « dans certains cas ».

Elle a assuré qu’il n’y aurait aucune tolérance pour de tels abus dans le pays et que leurs auteurs seraient tenus responsables de leurs actions par la justice birmane.

Parampreet Singh, une analyste de Human Rights Watch qui se spécialise dans les questions de droit international, pense que l’intervention d’Aung San Suu Kyi était d’abord motivée par des considérations de politique intérieure.

« Il y a une élection l’année prochaine en Birmanie. Elle ne semblait pas s’adresser seulement aux juges, mais aussi à la population de son pays » à majorité bouddhiste, relève Mme Singh, qui était présente à l’audience de mardi à La Haye.

La militante fait peu de cas des explications avancées par la cheffe de gouvernement birmane pour nier l’étendue des exactions perpétrées contre les Rohingya.

PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des réfugiés rohingya dans le camp de Cox’s Bazar, au Bangladesh

« C’est le même argument usé que l’armée utilise chaque fois qu’ils font face à des accusations d’abus », relève Mme Singh, qui s’interroge, comme nombre de militants des droits de la personne, sur la volte-face d’Aung San Suu Kyi relativement à l’armée.

« Il s’agit d’une question qui préoccupe beaucoup de militants rohingya. Ils l’ont appuyée quand elle était dans l’opposition, ils ont placé leurs espoirs en elle. Le fait qu’elle les trahit aujourd’hui rend les exactions des militaires encore plus douloureuses », note Mme Singh.

Une nouvelle journée d’audience est prévue jeudi à La Haye devant le tribunal, qui doit décider à la demande de la Gambie s’il y a lieu de cibler des « mesures provisoires » susceptibles de faire cesser les exactions en attendant que la cause soit entendue sur le fond.

Un jugement critique de l’action des militaires aurait un coût politique considérable pour la Birmanie, souligne Mme Singh.