La fin tragique d'une jeune enseignante qui a été brûlée vive il y a quelques jours après avoir rejeté une demande en mariage témoigne du fait que la violence contre les femmes demeure un fléau au Pakistan, malgré la multiplication de projets de loi visant à les protéger.

Une organisation non gouvernementale qui collige des données à ce sujet depuis plusieurs années suggère même que les exactions sont en hausse.

Dans son plus récent rapport annuel, l'Aurat Foundation relève que le nombre de cas de violence de toute nature contre les femmes - enlèvement, viol, meurtre, etc. - a bondi de 28 % de 2013 à 2014 pour dépasser le seuil de 10 000.

Une évolution d'autant plus préoccupante que les cas recensés reposent sur les comptes rendus médiatiques et ne représentent que la « pointe de l'iceberg ».

Nombre de sévices ne sont jamais déclarés. La peur et la stigmatisation expliquent en partie le silence des victimes. Le fait que l'agresseur est souvent issu de la famille et qu'il serait « dangereux » ou « déshonorant » de le dénoncer à la police explique aussi le silence observé, note l'Aurat Foundation.

LA MISOGYNIE RÉPANDUE

Saroop Ijaz, militant de Human Rights Watch établi à Lahore, note en entrevue que la misogynie demeure largement répandue au Pakistan, incluant au sein de la classe politique, et conditionne les réactions à la problématique de la violence envers les femmes.

Il cite l'exemple d'un sénateur qui a cherché à défendre publiquement les crimes d'honneur, malgré leur illégalité, en les présentant comme faisant partie intégrante de la culture du pays.

Ce type d'attitude, note M. Ijaz, touche aussi les milieux policiers et judiciaires et explique que ces crimes « demeurent très répandus et sont souvent commis en toute impunité, avec peu de conséquences pour le tueur ».

Selon lui, les fondamentalistes religieux prennent souvent le contrepied des lois mises de l'avant pour décourager la violence contre les femmes et cautionnent de facto des pratiques « barbares » plutôt que de les dénoncer.

Il y a quelques jours, le Conseil de l'idéologie islamique, qui agit à titre consultatif auprès du gouvernement, a mis de l'avant un projet de loi « modèle » visant officiellement à « protéger » les femmes. Il prévoit notamment qu'un homme peut battre « légèrement » sa conjointe si elle refuse de s'habiller convenablement ou rejette ses avances sexuelles.

La proposition a indigné la Commission des droits de l'homme du Pakistan, qui la juge ridicule.

Dans un communiqué, l'organisation relève avec ironie que le Conseil, pour se montrer « équilibré », prévoit que les femmes ne doivent pas être tuées pour des raisons d'honneur et entend leur « permettre » d'avoir un mot à dire dans le choix de leur éventuel conjoint alors qu'il s'agit « de droits reconnus constitutionnellement » depuis longtemps.

M. Ijaz presse le gouvernement d'intensifier ses efforts de sensibilisation et de répression.

La province du Pendjab a pris une initiative remarquée à ce sujet récemment en votant une nouvelle loi de protection qui donne une place accrue aux femmes. Ce seront notamment des policières qui seront habilitées à recueillir les plaintes des victimes de violence. Les peines contre les agresseurs seront durcies et des mesures de surveillance électronique seront mises en place pour éloigner les maris violents de leur conjointe.

L'initiative a été vertement dénoncée par des groupes islamistes qui accusent le gouvernement de la province d'agir « contre la Constitution et contre la charia » en cherchant à détruire la famille pakistanaise.

« La loi est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est pas la fin de l'histoire », relève de son côté Saroop Ijaz.

Briser le tabou

Zahra Haider, une femme de 22 ans d'origine pakistanaise qui vit à Toronto, a suscité une tempête en avril dernier en écrivant un article dans Vice où elle évoquait sa vie sexuelle. Elle confiait notamment avoir eu plusieurs relations en secret à l'adolescence au Pakistan et dénonçait au passage le caractère tabou du sujet dans son pays d'origine. « Les hommes qui s'y adonnent ne sont pas jugés dans notre société patriarcale, mais une femme de classe moyenne ou de milieu défavorisé qui a une relation sexuelle hors mariage va avoir de sérieux problèmes si elle se fait prendre », relevait-elle. Mme Haider dit avoir reçu plusieurs messages sur les réseaux sociaux de ressortissants pakistanais qui critiquaient son comportement à la suite de la diffusion de l'article. Plusieurs femmes, note-elle, l'ont cependant remerciée d'avoir eu « le courage » de prendre la parole à ce sujet.



RÉPARTITION PAR CATÉGORIE DES ACTES DE VIOLENCE RECENSÉS CONTRE LES FEMMES AU PAKISTAN EN 2014

Enlèvement 21,55 %

Meurtre 15,99 %

Viol/Viol collectif 15,04 %

Suicide 9,25 %

Crimes d'honneur 7,08 %

Violence domestique 4,91 %

Agression sexuelle 0,73 %

Jet d'acide 0,65 %

Brûlure 0,55 %

Divers 24,26 %

Source : Aurat Foundation