Elles étaient menacées par les talibans, les femmes et les minorités y étaient sous-représentées, et des vidéos de fraudes ont fait le tour des sites internet locaux... mais les élections de 2013 pourraient bien avoir été les plus libres de l'histoire du Pakistan.

Des listes électorales améliorées, une participation presque record et des citoyens plus vigilants ont favorisé samedi dernier «une expression crédible de la volonté du peuple», selon l'expression de l'ancien Premier ministre norvégien Kjell Magne Bondevik, observateur du scrutin.

Près de 50 millions de Pakistanais, soit environ 60% des inscrits selon la commission électorale pakistanaise, ont voté lors de ce scrutin qui marque le retour fracassant au pouvoir de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, 14 ans après avoir été déposé par un coup d'État.

Le vote était considéré comme historique, car permettant à un gouvernement civil de passer la main normalement après avoir achevé une législature complète de cinq ans, une première démocratique dans un pays abonné aux coups d'État.

La campagne et le scrutin ont été ensanglantés par les attaques des rebelles talibans, opposés à un processus qu'ils jugent «non islamique». Mais pas au point de faire dérailler le vote dans ce vaste pays de 180 millions d'âmes.

La participation a au contraire été très forte, environ 60%, du jamais vu depuis les élections de... 1977. Dans le quotidien en anglais Dawn, l'éditorialiste Murtaza Haider a salué la bravoure de son pays, «la démocratie la plus courageuse au monde», et de son peuple qui a, comme «à chaque fois qu'il en a l'occasion, embrassé la démocratie face à l'orthodoxie religieuse».

Le scrutin n'a pas pour autant été parfait, loin de là. Même si elles ont plus voté que jamais, et avaient trois fois plus de candidates qu'en 2008, les femmes restent sous-représentées, en raison des traditions conservatrices qui les maintiennent au foyer, comme dans les bastions islamistes du nord-ouest.

Ces progrès ont notamment été favorisés par l'activisme des autorités, qui ont actualisé les listes électorales en y incluant toutes les personnes munies d'une carte d'identité -- 86% des femmes sont désormais inscrites, contre 50% auparavant -- et en en enlevant les personnes inscrites plusieurs fois à l'aide de documents frauduleux.

Pour la première fois, les électeurs pouvaient en envoyant leur numéro de carte d'identité par SMS recevoir en retour les coordonnées de leur bureau de vote, un service qui a été sollicité 55 millions de fois.

«La technologie a renforcé la démocratie au Pakistan, dopé la participation, érodé la corruption et amélioré la transparence», a expliqué à l'AFP Tariq Malik, président de l'Autorité nationale gérant les inscriptions électorales.

Mais ces avancées restent limitées en cas de corruption des fonctionnaires électoraux, prévient-il.

Comme lors des scrutins précédents, les soupçons de fraudes ont d'ailleurs émergé à travers le pays, notamment à Karachi (sud) et à Lahore (est).

Des militants ont pris des photos de bulletins de vote jetés à la poubelle et ont tourné clandestinement des vidéos montrant des cas d'intimidation présumée dans les bureaux de vote, qui ont ensuite fait le tour des réseaux sociaux.

Ces nouveautés ont peut-être pesé dans la décision des autorités d'ordonner un nouveau scrutin dans 43 bureaux de vote à Karachi.

Restent d'autres progrès à faire, notamment pour certaines catégories. Plus de 200 000 Ahmadis, une communauté religieuse discriminée, ont boycotté l'élection, car ils y étaient rangés au sein des minorités alors qu'ils se considèrent comme des musulmans à part entière. Et la participation a été très basse au Baloutchistan, province du sud-ouest du Pakistan déchirée par un féroce conflit entre armée et indépendantistes.

Mais Ibn Abdur Rehman, un militant historique des droits de l'Homme au Pakistan, retient au final des motifs d'espoir. «Le processus électoral n'a pas été systématiquement perturbé comme par le passé», souligne-t-il. «Il y avait une forte pression des partis religieux, qui disaient aux électeurs de ne pas aller voter, mais les gens l'ont ignorée et ont participé».