Jeté en prison, forcé à l'exil puis revenu au pays pour en reprendre la tête, Nawaz Sharif s'apprête à devenir premier ministre du Pakistan pour la troisième fois. Son mandat ne s'annonce cependant pas de tout repos. Tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières, le Pakistan fait face à des problèmes potentiellement explosifs susceptibles de toucher l'ensemble du globe. Voici les principaux défis du futur premier ministre.

Affronter les talibans

Le scrutin qui a pris fin samedi dernier rappelle les vives tensions qui secouent le Pakistan. Les agences de presse font état d'un bilan de campagne de 150 morts, dont 29 le jour même du vote. Les talibans et les violences entre chiites et sunnites radicaux, notamment, sont des menaces constantes pour la sécurité.

Nawaz Sharif a annoncé son intention de négocier avec les talibans, un plan voué à l'échec selon Houchang Hassan-Yari, professeur au département de science politique et d'économie au Collège militaire royal du Canada.

«À mon avis, il faudra confronter les groupes terroristes, dit l'expert. Pendant les élections, on a vu des groupes qui se réclament de l'islam attaquer des partis politiques qui parlent au nom de l'islam. Comment voulez-vous dialoguer avec ces gens?»

Mettre l'armée de son côté

Nawaz Sharif entretient une relation mouvementée avec l'armée de son pays. Il a bénéficié de son soutien pour prendre la tête du pays pour la première fois, en 1990. Mais un coup d'État militaire en 1999 l'a chassé du pouvoir et jeté en prison, le forçant à l'exil.

Selon Jabeur Fathally, professeur de droit international à l'Université d'Ottawa, l'armée soutenait implicitement l'adversaire de M. Sharif, Imran Khan, pendant la campagne électorale.

«Historiquement, l'armée est méfiante vis-à-vis de Nawaz Sharif, et la tâche de regagner sa confiance sera délicate, dit-il. L'armée est le gouvernement de l'ombre au Pakistan, et M. Sharif aura bien du mal à gouverner si elle ne soutient pas ses décisions.»

Rétablir les ponts avec les États-Unis

Les relations entre le Pakistan et les États-Unis sont pour le moins complexes. Nawaz Sharif a attisé l'antiaméricanisme des électeurs pendant la campagne, mais a promis son «plein soutien» aux «amis américains» au lendemain de sa victoire. Le Pakistan est irrité par les tirs de drones américains dans les zones tribales près de la frontière afghane, alors que Washington soupçonne son allié historique de soutenir en cachette les groupes terroristes.

Une chose est certaine aux yeux de l'expert Houchang Hassan-Yari: les deux pays ont besoin l'un de l'autre. Les États-Unis sont le principal bailleur de fonds du Pakistan, mais devront compter sur le pays pour évacuer leurs troupes de l'Afghanistan en 2014 et négocier la paix avec les talibans afghans.

Atténuer les tensions avec l'Afghanistan

Ça chauffe actuellement entre le Pakistan et l'Afghanistan. Les deux pays entretiennent une querelle de frontières depuis la formation du Pakistan, en 1947, dont l'Afghanistan ne reconnaît pas le tracé actuel.

Un policier afghan a été tué il y a deux semaines, ce qui a amené les deux pays à masser des troupes et à déployer de l'arsenal militaire de chaque côté de la frontière.

«Depuis quelques semaines, il y a un problème extrêmement grave dans la relation entre les deux pays», juge l'expert Houchang Hassan-Yari, qui croit que le nouveau premier ministre devra tout faire pour apaiser la situation avec son voisin.

Relancer l'économie

Le Pakistan affiche un produit intérieur brut par habitant de 1120$ US, ce qui le place au 134e rang des pays de la planète. Sans pétrole ni gaz naturel, le pays exporte surtout du textile, du coton et du riz. Les investissements étrangers sont rares, le sous-développement est criant et la pauvreté touche 50% de la population, selon le plus récent rapport de l'Organisation des Nations unies.

Jabeur Fathally, de l'Université d'Ottawa, souligne qu'une grande partie des Pakistanais ne peut compter sur un approvisionnement fiable en électricité, ce qui a provoqué plusieurs manifestations récemment.

«Le Pakistan souffre de grandes disparités régionales, et Nawaz Sharif devra établir un programme économique crédible capable de répondre aux attentes dans ce contexte de crise», dit Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire royal du Canada.

***

SHARIF EN CINQ DATES

1990: Nawaz Sharif, ancien magnat de l'acier, succède à Benazir Bhutto comme premier ministre du Pakistan. L'homme est à l'époque leader de l'Alliance démocratique islamique.  

1993: Nawaz Sharif est démis de ses fonctions par le président du Pakistan à la suite d'accusations de corruption et d'abus d'influence. Il fait tomber cette décision en cour, mais l'armée le pousse vers la sortie. Des élections sont déclenchées, au terme desquelles Benazir Bhutto reprend la place de son rival.

1997: Nawaz Sharif, maintenant à la tête de la Ligue musulmane du Pakistan, remporte une majorité de sièges et reprend le pouvoir. Il concentre le pouvoir dans les mains du premier ministre et dirige le pays selon un programme conservateur fortement axé sur la religion musulmane.

1999: Nawaz Sharif est renversé par un coup d'État militaire qui installe le général Pervez Musharraf au pouvoir. Condamné à la prison à vie, il parvient à négocier un exil en Arabie saoudite.

2013: Dans des résultats non officiels, mais déjà reconnus par les pays occidentaux, la Ligue musulmane de Nawaz Sharif remporte, ce mois-ci, environ 130 des 272 sièges de l'Assemblée nationale. Pour la troisième fois, Nawaz Sharif se prépare à diriger son pays.