Depuis deux mois, les villes et les villages de l'Inde sont le théâtre d'un carnaval politique. Entassés dans des camions, des partisans défilent dans les rues, portant les couleurs de leur formation politique préférée. Des haut-parleurs s'échappent slogans politiques et succès bollywoodiens. Cette intense campagne prendra son sens dès ce matin: d'ici le 13 mai prochain, 714 millions d'Indiens passeront à l'isoloir.

Les élections, dont on connaîtra les résultats dans un mois jour pour jour, sont le plus grand scrutin démocratique de l'histoire de l'humanité.

Ce n'est pas la première fois que le pays de Gandhi relève un tel défi: depuis son accession à l'indépendance, en 1947, l'Inde a organisé 14 élections législatives comme celles qui prennent leur envol aujourd'hui, enregistrant chaque fois un nouveau record.

En jeu: les 543 sièges du Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement indien. Sur la ligne de départ, plus de 5000 candidats. Chaque député élu représentera plus de 2 millions de citoyens. Le parti ou la coalition de partis qui s'emparera du plus grand nombre de sièges prendra le contrôle du gouvernement et, du coup, de la dixième plus grande économie du monde.

Les jeux sont loin d'être faits. Aujourd'hui, une première vague de 110 millions d'électeurs ont enregistré leur voix sur les 1,3 millions de machines électorales, mais les autres devront attendre leur tour, qui viendra d'ici le 13 mai. Les résultats seront dévoilés simultanément le 16 mai.

D'ailleurs, dans l'est, des maoïstes ont tué 18 personnes, dont 10 paramilitaires censés protéger un bureau de vote. Au Cachemire indien, en proie à une insurrection séparatiste islamiste, le scrutin se déroule sous très haute sécurité.

 Plus de six millions de policiers, soldats et observateurs civils surveilleront pendant un mois les 828 000 bureaux de vote disséminés de Bombay à la frontière birmane et du Cachemire au Kerala.

Issue incertaine

Si la procédure du vote est connue de tous les Indiens - qu'ils soient issus des campagnes ou des villes, instruits ou illettrés - l'issue du scrutin, elle, fait l'objet de toutes les spéculations.

«Les experts tentent toujours de faire des prévisions et ils se gourent immanquablement, note David Malone, qui a occupé le poste de haut-commissaire du Canada en Inde, de 2006 à 2008. Les élections en Inde sont une occasion pour les plus démunis de faire entendre leur voix, alors qu'en Occident, ils ne votent habituellement pas ou peu.»

Celui qui préside aujourd'hui le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) rappelle qu'aux dernières élections, en 2004, plusieurs avaient parié sur la réélection du parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP). À la fin de son mandat, le pays connaissait une croissance économique fulgurante. Cependant, les laissés-pour-compte de ce boom, soit les Indiens des campagnes et des bidonvilles, en avaient décidé autrement.

Cette fois, les analystes prédisent la formation d'un gouvernement de coalition qui sera soit sous le contrôle du chef du BJP, Lal Krishna Advani (81 ans) ou du premier ministre sortant, Manmohan Singh (76 ans), du Parti du Congrès. Aucun des deux principaux partis ne semble en voie d'obtenir une majorité. «Ces élections se joueront autour des deux chefs d'un certain âge, mais il va falloir surveiller l'émergence de la nouvelle génération de leaders», estime Elliot Tepper, spécialiste de l'Asie à l'école d'affaires internationales Normand Paterson.

Des politiciens régionaux sont en bonne position pour devenir les nouveaux faiseurs de roi. Parmi ceux-là, Mayawati Kumari, une politicienne de 53 ans, issue d'une famille d'Intouchables. À la tête de l'état le plus populeux de l'Inde, l'Uttar Pradesh, cette dernière fait rêver beaucoup d'Indiens des basses castes qui rêvent de voir l'une d'entre eux se hisser dans les hautes sphères du pouvoir. Elle ne cache pas d'ailleurs ses visées sur le poste de première ministre.

Politicien influent de l'immense État du Gujarat, Narendra Modi pourrait lui aussi peser lourd après l'annonce des résultats. Connu pour ses positions antimusulmanes et son fervent nationalisme hindou, la possibilité de voir ce dernier couronner les nouveaux dirigeants en fait trembler plusieurs dans un pays multiconfessionnel où la paix sociale est une fragile affaire.

D'ailleurs, dans le cadre des élections, un imposant dispositif de sécurité a été déployé dans tout le pays, durement secoué l'an dernier par des vagues d'attentats.

- avec BBC, Outlook, Times of India, AFP.