Ce sont des images insoutenables. Deux hommes retiennent au sol une femme vêtue d'une burqa. Un troisième homme la frappe avec un fouet. Plus de 30 coups s'abattent sur la victime avec un claquement sourd, tandis qu'elle hurle de douleur.

«Tiens-la pour l'empêcher de bouger», dit une voix en arrière-plan. Une rangée de jambes indique que la scène a lieu en public, devant plusieurs témoins.

Cette vidéo tournée dans un village de la vallée de Swat, une région du Pakistan soumise depuis la mi-février à la loi islamique, s'est répandue sur le web à une vitesse virale pendant le week-end.

Elle a soulevé l'indignation générale et forcé les talibans qui contrôlent la région à s'expliquer publiquement. Mais leurs justifications sont au moins aussi troublantes que les images de flagellation.

La femme n'avait pas 17 ans, mais 34, a fait valoir Muslim Khan, porte-parole du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le parti islamiste qui contrôle la vallée de Swat.

La scène de flagellation avait été filmée avant la conclusion de l'accord de paix entre le gouvernement pakistanais et les dirigeants locaux, a-t-il fait valoir. Enfin, il a précisé que la femme avait entretenu des relations illicites avec son beau-père et méritait donc une punition, qui aurait cependant dû être administrée dans une pièce fermée.

Ces explications n'ont pas fait taire les critiques. L'affaire a pris une telle ampleur que la Cour suprême du Pakistan a déclenché, hier, une enquête sur cette vidéo.

Un accord controversé

«Peu importe quand ces images ont été tournées, la flagellation a bel et bien eu lieu et ce n'est pas le seul cas du genre», dit Tayyeb Ali Shaw, gestionnaire originaire de la vallée de Swat établi à Regina.

Selon lui, la vidéo montre à quel point les talibans contrôlent le système judiciaire de la région. «Ils sont à la fois juges, jury et procureurs», dit cet homme dont la famille vit à Kalakalay, le village même où la flagellation a eu lieu.

«La vallée de Swat a été donnée en pâture aux talibans; ce sont eux qui décident dans les villages, ils sont plus forts à chaque jour qui passe», dit cet homme qui participe à un site web destiné à documenter la situation.

Le 16 février dernier, après des années de confrontation militaire, le gouvernement du Pakistan a signé une trêve avec les islamistes radicaux de cette vallée, située dans le nord-ouest du pays, les autorisant à y décréter la charia.

«Avant cette entente, les habitants de Swat vivaient sous la menace des tirs de l'armée qui ont tué beaucoup d'innocents. Maintenant, il y a davantage de sécurité. Mais la situation s'est détériorée pour les femmes, qui n'ont plus le droit d'aller au marché, par exemple», dit Tayyeb Ali Shaw.

Aux yeux des critiques, qu'elle ait été enregistrée avant ou après la trêve, la scène de flagellation donne une idée de la menace qui pèse sur le Pakistan si les talibans continuent à gagner en influence.

«L'entente du 16 février a été une grosse gaffe, elle n'a fait qu'accroître la légitimité des militants islamistes à travers le pays», déplore la journaliste pakistanaise Qurat ul ain Siddiqui, dans un échange courriel avec La Presse.

Dans un article paru dans le magazine Dawn, elle recense les dangers qui guettent aujourd'hui les femmes de la vallée de Swat.

Vivant à Karachi, la journaliste note que la tension monte aussi dans cette ville du sud du Pakistan. «Bien sûr que nous avons peur. Nous ne savons pas comment nous allons vivre dans les prochains mois. Les femmes professionnelles, plus modernes que la moyenne, veulent quitter le pays. Mais pour aller où?»

Et il n'y a pas que la peur des talibans. Il y a aussi la crainte de la guerre. «La situation est incertains et instable», dit Qurat ul ain Siddiqui.

Tayyeb Ali Shaw, lui, craint que devant la montée en puissance des talibans, l'armée pakistanaise ne recommence à bombarder la vallée de Swat. Avec le soutien des États-Unis qui veulent s'attaquer au sanctuaire des talibans dans les régions frontalières du Pakistan.