Les bureaux du tribunal extraordinaire des Khmers rouges se trouvent loin du centre-ville de Phnom Penh, dans un vaste terrain vague entouré de clôtures. Un large bâtiment se trouve un peu en retrait des autres: il abrite la cour ainsi que les cinq accusés, dont quatre architectes des Khmers rouges.

Hier, le plus connu, Kaing Guek Eav, alias «Douch», le directeur de la tristement célèbre prison Tuol Sleng (S-21), a admis ses torts. Et il a demandé pardon pour les sévices infligés à près de deux millions de Cambodgiens à la fin des années 70.

 

Le bureau de Robert Petit, coprocureur du procès, se trouve à quelques centaines de mètres de la cour. L'avocat canadien espère un procès assez rapide, entre trois ou quatre mois, puisque «Douch» a déjà reconnu les faits.

Me Petit espère aussi une autre chose: obtenir le feu vert des juges pour lancer des poursuites contre d'autres collaborateurs du régime des Khmers rouges. «Si on ne poursuit que ces cinq personnes, on ne pourra pas démontrer aux Cambodgiens l'ampleur (de l'impact) de ces crimes sur le pays et sur la société.»

Robert Petit refuse cependant d'évoquer combien d'individus sont visés. «Je pense que c'est important d'aller plus bas que les architectes, mais plus haut que le menu fretin. Avoir des gens qui, par leur autorité, par leurs actes, par leur engagement, ont permis au principe de persécution d'avoir une telle ampleur. Ça amènerait une mesure de justice beaucoup plus importante.»

Sa requête se heurte toutefois à un obstacle important: le refus de l'autre procureure du procès, Chea Leang, d'origine cambodgienne. Puisqu'elle s'oppose à étendre le champ de poursuite, ce sont les cinq juges du tribunal qui doivent trancher. Leur réponse se fait toujours attendre. S'ils ne parviennent pas à s'entendre, les poursuites s'enclencheront automatiquement, comme le prévoit le règlement.

C'est ce qu'attendent les observateurs du procès, qui s'entendent tous sur la nécessité de ces poursuites supplémentaires.

Lui-même survivant du régime khmer rouge, Thun Saray dirige une importante organisation des droits de l'homme au Cambodge. «D'autres personnes étaient impliquées dans un centre de détention comme S-21. Pourquoi ne sont-elles pas jugées elles aussi? Pourquoi n'y a-t-il que «Douch»?» demande le directeur de l'Association cambodgienne des droits de l'homme et du développement, tout en se réjouissant du geste de Robert Petit.

Selon lui, le gouvernement cambodgien est derrière le refus de la procureure. «Le gouvernement craint que le pays ne tombe dans le chaos si d'autres accusations sont portées. Je n'y crois pas. Mais que se passera-t-il si les poursuites ont lieu, est-ce que le côté cambodgien va collaborer?»

De l'avis de Heather Ryan, observatrice du procès pour l'organisme Open Justice Initiative, de nouvelles accusations sont vitales pour maintenir la crédibilité de tout le tribunal.

«Le procès de cinq personnes accusées, si elles vivent toutes pour voir ce procès, ne donnera qu'une perspective limitée de tous les crimes commis durant la période des Khmers rouges. Ce qui remettrait en question la raison d'être de ce tribunal.»

Malgré ses critiques, elle pondère l'importance des premières audiences publiques dans le procès de «Douch». «C'est une pierre angulaire pour le tribunal extraordinaire des Khmers rouges. Cela représente l'apogée des efforts de nombreuses personnes.»

Impossible de savoir clairement ce qu'en pensent les Cambodgiens. Dans la rue, les cafés, ou ailleurs, les personnes interrogées à ce sujet ne veulent pas répondre. Plusieurs sont trop jeunes pour avoir vécu les événements. Pour d'autres, la question demeure trop sensible.

Selon un sondage récent du Centre de documentation du Cambodge, plus de 52% de la population voudrait voir juger d'autres responsables du régime.