Il était minuit moins cinq pour l'entente sur le nucléaire conclue entre l'Inde et les États-Unis. Mais hier, après trois ans de controverse, le Sénat américain a accepté de lever les derniers obstacles législatifs pour que l'embargo, imposé au géant indien depuis 30 ans, soit levé.

De longs soupirs de soulagement se sont simultanément échappés du bureau Ovale à Washington ainsi que du bureau du premier ministre indien à New Delhi après que le Sénat eut voté en faveur du projet de loi à 86 voix contre 13.

 

L'accord, qui permettra sous peu aux États-Unis d'exporter des technologies nucléaires vers l'Inde, a été conclu en 2005 entre le président américain George W. Bush, aujourd'hui en fin de mandat et le premier ministre indien, Manmohan Singh.

Depuis, l'entente a été la cible de critiques virulentes. Aux États-Unis, ses détracteurs craignent que ce pacte sur le nucléaire civil ne contribue à la prolifération des armes nucléaires dans une région déjà instable. En Inde, l'entente est perçue par une large part de l'opposition comme une abdication de l'indépendance du pays de Gandhi au profit du pays de l'Oncle Sam. Par l'entremise du pacte avec les États-Unis, l'Inde, qui n'a jamais signé le traité de non-prolifération, permet la surveillance internationale de 12 de ses 22 réacteurs.

«La législation qui découlera de l'entente va renforcer les efforts de non-prolifération mondiaux, va protéger l'environnement, créer des emplois et donner un coup de main à l'Inde qui a des besoins énergétiques de plus en plus grands», a claironné hier George W. Bush.

Le président, dont l'emploi du temps est accaparé par la crise financière qui secoue l'économie américaine, a demandé à sa secrétaire d'État, Condoleezza Rice, de consacrer la majeure partie de ses énergies au cours des derniers mois à faciliter l'adoption du projet, considéré par l'administration sortante comme une nouvelle pierre d'assise dans la relation stratégique entre les États-Unis et l'Inde.

Mme Rice doit se rendre dès la fin de la semaine en Inde pour mener d'autre pourparlers au sujet de l'entrée en vigueur du pacte nucléaire, avant le changement de garde annoncé à Washington.

Le Congrès soulagé

En Inde, le parti du Congrès, à la tête du gouvernement de coalition, n'a pas hésité à crier victoire, lisant dans la décision du Sénat une reconnaissance de la puissance sans cesse grandissante de l'Inde. «C'est un signe que le monde a besoin de l'Inde et l'Inde a besoin du monde», s'est exclamé hier le conseiller indien à la sécurité nationale, M. K. Narayan.

En juillet, le même pacte a mis le Parti du congrès dans le pétrin quand des partis de gauche ont quitté la coalition au pouvoir en guise de protestation contre l'entente. In extremis, un autre parti de l'opposition a permis à Manmohan Singh de rester à la barre du gouvernement.

Principal architecte des réformes qui ont transformé l'économie indienne depuis le début des années 90, Manmohan Singh plaide depuis des années que l'Inde, sans le développement de son programme nucléaire civil, sera incapable de faire face aux besoins en énergie d'une économie en pleine croissance, soutenant une population de 1,1 milliard de personnes. L'Inde importe présentement 75% de son pétrole.

Le pays voisin de l'Inde et autre puissance nucléaire régionale, le Pakistan, voit d'un très mauvais oeil la concrétisation de l'entente indo-américaine. Ses dirigeants mettent en garde la communauté internationale contre la reprise d'une course à l'armement entre les deux pays rivaux.

L'Inde fait l'objet d'un embargo américain depuis ses premiers tests nucléaires en 1974. Les plus récents remontent à 1988. Pour que l'accord indo-américain ait lieu, la communauté internationale, par l'intermédiaire de l'Agence internationale de l'énergie atomique, a dû donner son feu vert à la levée de l'embargo cet été. Damant de peu le pion aux Américains, la France a elle aussi conclu un accord sur l'exportation de technologies nucléaires avec l'Inde cette semaine.