Après le Brésil et la Bolivie, le yuan chinois s’impose de plus en plus dans l’économie de l’Argentine, pays aux prises avec une inflation galopante et où les réserves en dollars américains s’amenuisent rapidement.

Ainsi, en avril, le grand détaillant d’appareils ménagers et électroniques Newsan a commencé à utiliser le yuan (appelé officiellement renminbi) pour l’achat d’articles et de pièces de rechange de ses fournisseurs chinois.

Dans un article, le Washington Post cite Alejandra Conconi, directrice générale de la Chambre de commerce Argentine-Chine, qui affirme que les entreprises du grand pays sud-américain paient maintenant en yuans plus de 50 % de leurs achats d’ordinateurs, téléphones cellulaires, textiles et pièces de motocyclettes manufacturés en Chine.

Selon les experts, la situation économique catastrophique qui règne dans le pays explique ce phénomène. L’inflation grimpe de près de 10 % par mois, le peso, monnaie locale, perd rapidement de sa valeur et le billet vert se fait de plus en plus rare dans les réserves monétaires du pays.

« En Argentine, les gens vivent dans l’instabilité depuis plus d’une décennie et ils ont moins confiance dans l’économie du pays. Alors ils investissent ailleurs et envoient leurs capitaux dans des marchés plus sûrs », résume Zandra Balbinot, professeure au département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Il n’y a pas que les capitaux qui fuient. Les gens qui en ont les moyens s’en vont aussi, analyse Dan Markus Kraft, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Montréal et membre du Centre de droit des affaires et du commerce international. « Il y a une énorme vague d’émigration chez les gens qui ont des ressources, dit-il. Comme le Venezuela, l’Argentine a perdu beaucoup d’entrepreneurs et de personnes désirant vivre dans un système plus fiable. »

Le giron de la Chine

Le gouvernement s’est donc tourné vers le yuan pour combler son manque de dollars. Ainsi, en avril, Buenos Aires a annoncé son intention d’acheter, en yuans, pour 1 milliard de dollars américains de biens d’importation de la Chine. Une mesure rendue possible par la création d’une ligne d’échange de crédit avec l’empire du Milieu. Par la suite, les achats en yuans doivent s’élever à 790 millions par mois.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ambassadeur de Chine en Argentine, Zou Xiaoli, et le ministre argentin de l’Économie, Sergio Massa, échangent une poignée de main après avoir conclu l’accord sur les importations entre les deux pays.

Dan Markus Kraft n’est pas surpris de cette présence accrue du yuan dans l’économie argentine.

« En 2022, la Chine a promis des investissements de 23 milliards [valeur en dollars américains] pour des travaux d’infrastructure et des avances pour achat de pétrole en Argentine, qui est un pays techniquement en faillite », dit-il.

L’Argentine est devenue économiquement dépendante de la Chine. Adopter la monnaie chinoise pour certaines transactions a donc du sens.

Dan Markus Kraft, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Montréal

En rapportant cet investissement colossal dans ses pages, le 6 février 2022, le Buenos Aires Times concluait que l’Argentine devenait par le fait même le plus récent pays à intégrer la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative).

En lançant ce projet il y a 10 ans, la Chine a voulu se tisser une ceinture économique planétaire. Elle investit massivement dans des liaisons maritimes et toutes sortes d’infrastructures de transport pour écouler ses produits et avoir accès à d’immenses ressources afin de s’approvisionner en matières premières.

Double tranchant

Selon M. Kraft, tous ces investissements chinois viennent avec « un certain alignement idéologique ». Comme de fait, à la mi-mars, le Honduras a rompu ses liens diplomatiques avec Taiwan et s’est tourné vers la Chine pour renégocier une dette s’élevant à des centaines de millions de dollars. Ce qui a fait dire à des experts que Pékin monnaie son influence.

Les exemples d’utilisation du yuan comme monnaie d’échanges économiques se multiplient partout dans le monde.

À la mi-avril, le Bangladesh a versé, en yuans, une somme équivalant à 318 millions US à l’opérateur russe d’une centrale nucléaire.

À la fin du mois de mars, la française TotalEnergies a conclu une première transaction en yuans pour la vente de 65 000 tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) avec CNOOC, un géant chinois des hydrocarbures.

Cela dit, le yuan demeure pour l’instant une monnaie d’échange marginale dans le système économique mondial, loin derrière le dollar américain et l’euro.

De plus, un yuan fort peut avoir ses revers, estime Zandra Balbinot.

« À mon avis, dit-elle, si le yuan devient une monnaie forte, ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les Chinois eux-mêmes. Un des grands avantages d’avoir une monnaie plus faible est que les clients qui achètent leurs produits paient moins cher. Mais si la monnaie chinoise devient trop chère, cet avantage commercial se perd. »

Avec le Washington Post et le Buenos Aires Time

L’histoire jusqu’ici

6 février 2022 : La Chine annonce le financement de projets d’infrastructure argentins d’une valeur de 23,7 milliards US.

26 mars 2023 : Le Honduras établit des relations diplomatiques avec la Chine.

26 avril 2023 : L’Argentine annonce qu’elle paiera ses importations chinoises en yuans.

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  • 7,04
    Jeudi, 1 dollar américain valait 7,04 yuans.
    Source : XE.com