Dans les années 1980, ils n’étaient que quatre hippopotames à batifoler dans le zoo privé du célèbre narcotrafiquant colombien Pablo Escobar. Mais d’ici 10 ans, plus d’un millier de pachydermes pourraient avoir envahi la vallée du fleuve Magdalena. Comment la Colombie va-t-elle régler son « gros problème » ?

Comme ça, il y a trop d’hippopotames en Colombie ? Pardonnez-nous, mais ça nous semble une nouvelle un peu… grotesque ?

En effet. Et on a très envie de sourire en imaginant ces pachydermes prendre leurs aises hors du zoo, dans la vallée du fleuve Magdalena, dans le nord-ouest de la Colombie.

Sauf que plus le temps passe, moins les habitants du coin rigolent. Avec sa grande gueule et son gabarit de trois tonnes, l’hippopotame est l’un des animaux les plus meurtriers pour les humains. « Ils ont l’air lourdauds, mais c’est très surprenant de voir à quelle vitesse l’hippopotame peut charger », dit Karl Fournier, directeur des soins animaliers au Zoo de Granby.

Un jour, il y aura des morts, craignent les autorités colombiennes. C’est pourquoi, au début mars, le gouverneur du département d’Antioquia a annoncé son intention de déménager 70 hippopotames à l’étranger.

L’hippopotame est originaire d’Afrique. Comment s’est-il retrouvé à 11 000 km de là ?

Dans les années 1980, le narcotrafiquant Pablo Escobar a importé illégalement plusieurs animaux exotiques dans son ranch Hacienda Nápoles, à l’est de Medellín, dont quatre hippopotames (un mâle et trois femelles). Quand l’empire Escobar est tombé au début des années 1990, le ranch a été saisi par le gouvernement. La plupart des animaux ont été relogés dans d’autres zoos, sauf les hippopotames qui ont été laissés tranquilles dans leur étang. Trop tranquilles, il faut croire, puisqu’ils ont fini par étendre leur territoire bien au-delà des limites de l’Hacienda Nápoles.

Mais n’est-ce pas une bonne nouvelle si les hippopotames, une espèce vulnérable selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, ont trouvé un nouveau havre de paix sauvage ?

Il s’agit en effet d’une espèce vulnérable dans son environnement naturel, en Afrique subsaharienne, en raison de sécheresses et du braconnage.

Mais en Colombie, le mastodonte profite d’un environnement sans prédateurs naturels (crocodiles, lions, hyènes…) et a ainsi pu se reproduire à un rythme soutenu – les femelles peuvent mettre au monde 25 bébés hippopotames au cours de leurs 40 ans de vie.

PHOTO RAUL ARBOLEDA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En Colombie, les hippopotames profitent d’un environnement sans prédateurs naturels et leur présence affecte la faune et la flore indigènes.

Dans une étude publiée en 2021, la biologiste colombienne Nataly Castelblanco indiquait que la population est passée de 35 individus en 2012 à près de 80 en 2020. Elle serait de 150 aujourd’hui. Si rien n’est fait pour contrôler la population, écrivait Mme Castelblanco en 2021, la population pourrait atteindre 1400 individus en 2034.

La présence des troupeaux a des conséquences sur l’écosystème local. Leurs déjections riches en nitrites engendrent une hausse des cyanobactéries et mettent en danger la faune et la flore aquatiques. Le lamantin, un mammifère indigène dont la survie est déjà menacée, ne peut concurrencer l’hippopotame pour défendre son territoire et l’accès à la nourriture.

Que faire alors pour empêcher l’hippopotame d’écraser la Colombie ?

Dans l’étude de 2021, les biologistes colombiens ont indiqué que le scénario idéal serait « d’abattre ou de castrer » 30 bêtes chaque année pour éviter le désastre.

Castrer un géniteur de trois tonnes n’est pas une mince affaire… Il faut évidemment mettre l’animal sous sédation pendant qu’il est sur la terre ferme avant de s’approcher avec le scalpel. La castration coûte cher : environ 50 000 $ par animal, selon un vétérinaire colombien interviewé par la BBC. Depuis deux ans, une méthode de castration chimique (administrée par une fléchette tirée d’un pistolet) a été utilisée sur 38 individus, avec des résultats difficiles à évaluer.

Qu’en est-il de la chasse ?

C’est une solution évidemment moins coûteuse que les autorités avaient adoptée dans les années 2000. Mais l’expérience a choqué l’opinion publique quand des soldats ont publié une photo où ils posaient fièrement avec leur trophée de chasse…

PHOTO TIRÉE DU SITE DE PÚBLICO

Des soldats colombiens posent avec un hippopotame tué en 2009.

Bon. Il reste donc l’option de déménager les animaux. Mais là encore, la facture sera salée ?

Sans aucun doute. Selon des estimations, le transport de 20 à 30 hippopotames dans un avion-cargo pourrait coûter entre 400 000 $ (vers le Mexique) et 900 000 $ (vers l’Inde), deux destinations où se trouvent des sanctuaires prêts à les accueillir.

Mais avant de mettre les hippopotames dans l’avion, encore faudra-t-il les capturer… « Comment vont-ils faire pour capturer 70 hippopotames ? », se demande, intrigué, Karl Fournier. Le Zoo de Granby a déjà organisé des transports de pachydermes. « Mais c’était un spécimen à la fois », précise M. Fournier, et les animaux, déjà en captivité, avaient été acclimatés à leur cage de transport avant le déplacement. « Le plus grand défi pendant le transport est d’éviter que les animaux ne restent couchés trop longtemps pour éviter que leurs muscles s’ankylosent. »

À part l’Inde et le Mexique, d’autres destinations ont-elles été évoquées par la Colombie ?

Oui : son voisin, l’Équateur. Sauf que mardi dernier, le gouvernement équatorien a offert un « non catégorique » à la Colombie. Le coût de l’importation et de l’hébergement d’hippopotames « n’a pas de sens », a déclaré à l’agence de presse Efe le ministre de l’Environnement, Gustavo Manrique. Ce dernier a néanmoins souhaité « bonne chance à la Colombie » avec son « gros problème »…

Sources : Agence France-Presse, BBC, Washington Post, Nature

En savoir plus
  • 130 000
    Nombre d’hippopotames à l’état sauvage dans le monde
    Source Union internationale pour la conservation de la nature