(Lima) Le Pérou est empêtré depuis deux mois dans une crise politique et sociale avec des manifestations quotidiennes réclamant la démission de la présidente Dina Boluarte, une mobilisation que le gouvernement a violemment réprimée sans parvenir cependant à rétablir la stabilité et la paix sociale.  

Les manifestations, qui ont fait 48 morts, ont éclaté le 7 décembre avec l’éviction de l’ancien président de gauche Pedro Castillo, remplacé par sa vice-présidente Dina Boluarte.  

Issue du même parti que lui, elle est considérée comme une traîtresse par les protestataires – majoritairement d’origine indigène comme l’ancien président –, qui réclament outre sa démission, la dissolution du Parlement.  

Entre blocages routiers, paralysie économique et état d’urgence dans neuf des 25 régions du pays, la présidence et le Parlement semblent incapables de parvenir à un consensus pour mettre un terme à la crise. Trois analystes avancent les scénarios de sortie possibles.

Démission

La Constitution péruvienne prévoit qu’en cas de démission du chef de l’État, il soit remplacé de manière intérimaire par le président du Parlement dont la mission est alors de convoquer des élections, sans toutefois fixer de délai précis.  

« Le seul (scénario) possible est le départ de la présidente Boluarte », estime Paula Tavara, politologue et professeure à l’Université catholique de Lima, soulignant le manque de « volonté réelle » de la part du Parlement d’avancer les élections. Elle juge cependant cette possibilité « hautement improbable ».

Mme Boluarte a déjà dit que sa démission n’était « pas en jeu », car elle estime que ce serait céder à un « chantage politique ». Une démission lui ôterait en outre son immunité présidentielle, alors le parquet a ouvert une enquête pour « génocide » contre elle et plusieurs autres hauts responsables pour la répression des manifestations, souligne la politologue.  

Une démission irait enfin à l’encontre de ses intérêts et de ceux des partis de droite au Parlement qui ont soutenu sa nomination, et qui « jouent ensemble », selon la politologue de l’université de Granada, en Espagne, Patricia Paniagua.

Destitution

La Constitution confère au Parlement le pouvoir de destituer le chef de l’État, ce qui s’est produit à trois reprises depuis le début des années 2000 : Alberto Fujimori (2000), Martin Vizcarra (2020) et Pedro Castillo (2022).  

Que Dina Boluarte soit la prochaine sur la liste, à l’initiative des partis de gauche, est une rumeur persistante au Parlement, bien qu’il faille pour cela le vote des deux tiers de l’assemblée (87 législateurs sur 130).

« Je vois cela comme très peu probable parce que cela accélérerait aussi le départ du Parlement », estime Alonso Cardenas, professeur de sciences politiques à l’université Antonio Ruiz de Montoya de la capitale.  

Explosion sociale

Il n’est pas non plus exclu que le mécontentement croissant parmi la population puisse conduire à une explosion sociale encore plus forte.  

« Avec des esprits plus surchauffés, une plus grande frustration face à une absence de réponse et une meilleure organisation, il est possible que la mobilisation s’intensifie », prévient Paula Tavara.  

« Malheureusement, cette semaine de non-décision nous a rapprochés de ce scénario », juge-t-elle.

Invoquant un vice de procédure, le Parlement a bloqué vendredi et jusqu’au mois d’août tout débat visant à avancer les élections générales, ainsi que souhaité par Dina Boluarte dans l’espoir de calmer les manifestations.

Selon la loi péruvienne, la présidence et les parlementaires ont tous deux un mandat de cinq ans, qui expire en juillet 2026.

Fin des manifestations

Il est également possible que Dina Boluarte et le Parlement achèvent leur mandat en 2026, surtout si l’on considère l’usure que représentent deux mois de mobilisation pour les manifestants et la société en général.  

Patricia Paniagua estime que le gouvernement est conscient de la fatigue des citoyens mobilisés. « La réponse de la rue est énergique, résolue […], mais peut-elle se maintenir à moyen ou long terme ? » se demande-t-elle.  

Selon elle, le silence de Dina Boluarte après que le¨Parlement eut bloqué tout débat jusqu’en août sur des élections anticipées indique qu’elle « adhère » à cette décision et que les deux pouvoirs vont continuer à « tourner le dos à ce qui se passe dans la rue ».  

Paula Tavara, pour sa part, croit que ce scénario pourrait tirer profit d’un « sérieux acte de contrition » de la présidence avec un changement de gouvernement, la poursuite des responsables des décès et l’ouverture d’un dialogue avec les manifestants.  

Il est plus probable cependant, selon Alonso Cardenas, que Dina Boluarte, première femme à diriger le Pérou, continue de faire comme s’il « ne s’est rien passé » et laisse la mobilisation s’éteindre sans faire de concessions.