Des milliers de partisans de l’ancien président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro ont pris d’assaut dimanche le Congrès brésilien, la Cour suprême et le palais présidentiel à Brasília, semant le chaos.

Après le Capitole à Washington en 2021 et le convoi de la liberté à Ottawa en 2022, c’est vers la capitale du Brésil qu’une foule a convergé en ce début d’année.

Dimanche, des milliers de partisans de l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, refusant d’admettre sa défaite, ont fait fi des barricades, grimpé sur les toits, brisé des fenêtres et envahi les trois édifices situés sur la place des Trois Pouvoirs, à Brasília. Certains ont réclamé une intervention de l’armée pour reporter l’ex-président Jair Bolsonaro au pouvoir ou en chasser le président actuel, Luiz Inácio Lula da Silva.

La zone avait pourtant été bouclée par les autorités, mais les bolsonaristes sont parvenus à forcer les cordons de sécurité.

Sur les réseaux sociaux, on peut voir des vidéos montrant des bureaux de parlementaires saccagés ou des manifestants debout sur les sièges de l’hémicycle au Sénat. L’un d’eux s’est même assis sur le siège du président de la chambre haute, un mimétisme saisissant avec les manifestants pro-Trump au Congrès américain il y a deux ans.

PHOTO ADRIANO MACHADO, REUTERS

De nombreux bureaux du palais du Planalto ont été vandalisés par les manifestants.

Les dégâts semblent considérables dans ces bâtiments qui sont des trésors de l’architecture moderne et qui regorgent d’œuvres d’art. Des tableaux d’une valeur inestimable ont notamment été endommagés, dont Les mulâtres, du peintre moderniste Di Cavalcanti, exposé au palais présidentiel et percé de plusieurs trous.

Cinq journalistes ont été agressés, selon un syndicat de presse local. Parmi eux, un photographe de l’Agence France-Presse a été frappé et s’est fait voler tout son matériel.

À la tombée de la nuit, les forces de l’ordre ont évacué les bâtiments et repris progressivement le contrôle de la situation, des canons à eau maintenant les manifestants à distance. Des dizaines d’entre eux demeuraient toutefois en périphérie, et la situation restait confuse. Au moins 300 personnes ont été arrêtées sur les lieux, selon ce qu’a indiqué la police fédérale brésilienne sur Twitter en soirée.

Des « fascistes fanatiques », dénonce Lula

Le président Lula, en fonction depuis seulement une semaine et déjà confronté à une crise majeure, est revenu en soirée dans la capitale pour visiter les lieux ravagés, après avoir condamné les évènements depuis Araraquara, dans l’État de São Paulo, où il se trouvait en raison d’importantes inondations.

PHOTO ERALDO PERES, ASSOCIATED PRESS

Le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva (au centre), constatant les ravages dans le palais du Planalto après qu’il ait été pris d’assaut par des bolsonaristes

Il avait alors affirmé que les assaillants étaient des « vandales, fascistes fanatiques ». Il a également signé un décret pour permettre au gouvernement fédéral de contrôler les forces de sécurité dans le district fédéral, affirmant que l’évènement était « sans précédent dans l’histoire du Brésil ».

Nous allons tous les retrouver et ils seront tous punis. Ceux qui ont financé [ces manifestations] vont payer pour ces actes irresponsables et antidémocratiques.

Luiz Inácio Lula da Silva, président du Brésil

Après plusieurs heures, l’ex-président Jair Bolsonaro, désormais aux États-Unis, est sorti de son mutisme pour dénoncer sur Twitter « les déprédations et invasions de bâtiments publics […] contraires à la règle » régissant les « manifestations pacifiques ».

Dans un autre tweet, il a cependant « rejeté les accusations, sans preuve » de son successeur Lula à son égard.

Des « patriotes » et des « terroristes »

« Le saccage d’aujourd’hui était une action planifiée et financée », estime Meg Stalcup, professeure d’anthropologie à l’Université d’Ottawa et spécialiste du Brésil. « Les partisans ont bénéficié du soutien au moins tacite de la police et de certaines autorités. »

À son sens, le climat médiatique y est aussi pour beaucoup dans la radicalisation d’une frange de la population pro-Bolsonaro. « Ils se considèrent comme des patriotes, et le reste du pays les considèrent comme des terroristes », observe-t-elle. ​​

Il y a des gens qui pensent vraiment qu’ils se battent pour la démocratie. Cette dissonance cognitive de masse est un problème qui ne peut être dissocié du système médiatique actuel, où les gens sont nourris de faits alternatifs.

Meg Stalcup, professeure d’anthropologie à l’Université d’Ottawa et spécialiste du Brésil

Rappelons que le président actuel a remporté la course électorale de justesse à la fin du mois d’octobre dernier, obtenant 50,9 % des votes certifiés, contre 49,1 % pour Jair Bolsonaro.

Celui-ci n’a d’ailleurs jamais reconnu officiellement la victoire de Lula, explique Mme Stalcup. « Il n’a pas non plus changé son Twitter, où il se dit toujours président de la République », souligne-t-elle.

Inspirés par l’assaut du Capitole ?

Les ressemblances sont frappantes entre la journée de dimanche à Brasília et l’assaut du Capitole à Washington le 6 janvier 2021. Mais, selon Meg Stalcup, les manifestants de dimanche voulaient réussir là où ceux du Capitole avaient échoué. « Je ne pense pas que ça s’est déroulé de la façon qu’ils espéraient, dit-elle, parce que ce qu’ils voulaient, c’est que l’armée agisse de façon indépendante de Lula [en les soutenant]. »

« Ils voulaient l’intervention militaire, et d’une certaine façon, ils l’ont eue, mais pas comme ils l’espéraient », remarque l’anthropologue, expliquant que les forces de l’ordre se sont retournées contre eux.

Une telle invasion pourrait peut-être même aider le gouvernement de Lula, observe aussi Mme Stalcup, « parce que ça va être plus évident pour tout le monde qu’il y a des extrémistes qui agissent d’une certaine façon [du côté de Bolsonaro] ».

En effet, ce ne sont pas tous les électeurs qui se sont positionnés pour Bolsonaro en octobre dernier qui soutiennent les manifestants, rappelle Mme Stalcup. Bon nombre n’ont pas voté pour Lula simplement parce qu’ils ne sont pas à gauche de l’échiquier politique.

De nombreux alliés politiques de l’ex-président se sont d’ailleurs désolidarisés publiquement des protestataires dimanche.

Dimanche, des appels à une contre-manifestation à Brasília en faveur de la démocratie circulaient sur les réseaux sociaux, ajoute Mme Stalcup. « Je pense que la démocratie brésilienne, comme américaine et canadienne, est plus robuste qu’il n’y paraît », souligne-t-elle.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press

Précision :
Une version antérieure de ce texte indiquait erronément que des appels à la mobilisation de partisans pro-Bolsonaro circulaient encore pour se rendre à Brasília lundi. Ce sont plutôt des appels à des contre-manifestations en faveur de la démocratie. Nos excuses.

Réactions sur la scène internationale

Canada

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a réagi aux évènements dimanche en début de soirée, sur Twitter. « Le respect du droit démocratique des gens est primordial dans toute démocratie – y compris au Brésil. Le Canada condamne fermement les actes violents perpétrés aujourd’hui, et nous réaffirmons notre soutien au président [Luiz Inácio Lula da Silva] et aux institutions démocratiques du Brésil », a-t-il écrit.

États-Unis

D’un seul mot lancé aux journalistes, le président américain Joe Biden a jugé « scandaleuses » les violences des manifestants bolsonaristes, dans une réaction directe lors d’un déplacement au Texas, avant une visite au Mexique. Il a ensuite « condamné » dans un tweet cette « attaque contre la démocratie et le transfert paisible du pouvoir au Brésil. Les institutions démocratiques du Brésil ont tout notre soutien et la volonté du peuple brésilien ne doit pas être sapée », a ajouté Joe Biden, se disant « impatient » de travailler avec le président Lula.

Mexique

Le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, a exprimé son soutien à Lula. « Répréhensible et antidémocratique, la tentative de coup d’État des conservateurs au Brésil », a-t-il gazouillé. « Lula n’est pas seul, il a le soutien des forces progressistes de son pays, du Mexique, du continent américain et du monde », a-t-il ajouté.

Argentine

Le président argentin Alberto Fernandez a insisté, lui aussi sur Twitter, sur « son soutien inconditionnel et celui du peuple argentin à [Lula] face à cette tentative de coup d’État ».

Bolivie

« Les fascistes chercheront toujours à prendre par la force ce qu’ils n’ont pas obtenu dans les urnes », a gazouillé le président bolivien Luis Arce.

Cuba

Le président cubain Miguel Díaz-Canel a condamné ces actes destinés à « générer le chaos et à bafouer la volonté populaire », estimant sur Twitter que les « Bolsonaristes imit[ai]ent les Trumpistes » lorsque ceux-ci avaient pris d’assaut le Capitole.

Venezuela

Le dirigeant vénézuélien Nicolas Maduro a condamné « de manière catégorique la violence générée par les groupes néofascistes de Bolsonaro » qui cherchent à destituer le président Lula.

Union européenne

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a exprimé sur Twitter sa « condamnation absolue » de cet assaut et son « soutien total au président Lula da Silva, démocratiquement élu par des millions de Brésiliens à l’issue d’élections équitables et libres ».

France

« La volonté du peuple brésilien et les institutions démocratiques doivent être respectées ! Le président Lula peut compter sur le soutien indéfectible de la France », a tweeté le président français Emmanuel Macron, en français et en portugais.

Italie

La première ministre italienne d’extrême droite Giorgia Meloni a estimé que « ce qui se pass[ait] au Brésil ne [pouvait] pas nous laisser indifférents. Les images de l’irruption dans les sièges des institutions sont incompatibles avec toute forme de désaccord démocratique. Le retour à la normale est urgent et nous exprimons notre solidarité aux institutions brésiliennes », a-t-elle déclaré sur Twitter.

Agence France-Presse