Un président sortant qui sème le doute sur une éventuelle fraude électorale. Un pays miné par la division. Une frange extrémiste nourrie à la désinformation. Au Brésil, l’élection présidentielle se déroule sous haute tension. Et rappelle le dernier scrutin aux États-Unis, avec la crainte d’une violence inspirée par l’assaut du Capitole américain.

Crainte de violences électorales

PHOTO PILAR OLIVARES, ARCHIVES REUTERS

Un partisan du président Jair Bolsonaro, blessé à la suite de heurts avec des partisans de l’ancien président et candidat à la présidentielle Luiz Inácio Lula da Silva, à Sao Goncalo, le 9 septembre.

Le 9 septembre dernier, Benedito Cardoso dos Santos, un homme de 42 ans, a été tué à coups de hache et de couteau dans le centre-ouest du Brésil. Un collègue de 24 ans a confessé l’attaque à la suite d’un différend politique : le quadragénaire appuyait le candidat de gauche Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, tandis que le jeune homme était un partisan du président sortant d’extrême droite, Jair Bolsonaro.

Ce meurtre, comme celui, en juillet, d’un représentant du parti de Lula par un policier bolsonariste, est un exemple extrême de la polarisation au Brésil. Mais la crainte de violence liée aux désaccords politiques est bien répandue, alors que le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu dimanche.

PHOTO DAVID TETT, FOURNIE PAR VINICIUS DE CARVALHO

Vicinius de Carvalho, chargé de cours en études brésiliennes et latino-américaines au King’s College de Londres

Je pense que tout le monde a peur que si Bolsonaro perd — et c’est le scénario le plus plausible —, il y ait des manifestations violentes qui dégénèrent.

Vicinius de Carvalho, chargé de cours en études brésiliennes et latino-américaines au King’s College de Londres, en entrevue téléphonique avec La Presse

PHOTO PAULO LOPES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président sortant Jair Bolsonaro

PHOTO AMANDA PEROBELLI, ARCHIVES REUTERS

Des partisans de Lula, lors d’un rassemblement électoral à São Paulo, le 24 septembre

PHOTO AMANDA PEROBELLI, ARCHIVES REUTERS

L’ancien président Lula, qui tentera de revenir à la tête du pays lors de l’élection du 2 octobre, est donné favori par les sondages.

Le président sortant est deuxième dans les sondages — qu’il conteste —, derrière l’ancien président Lula. Il a évoqué des rumeurs de fraude électorale s’il n’est pas réélu, en remettant en question la fiabilité du système de vote entièrement électronique. Des propos réfutés par les experts, mais qui n’en ont pas moins attisé ses partisans.

« Trump des tropiques »

Le Tribunal supérieur électoral a interdit le port d’armes dans les bureaux de vote et à moins de 100 m autour, dans les 48 heures avant le vote de dimanche et les 24 heures après, sauf pour les forces de l’ordre. La Cour suprême a temporairement suspendu certaines ventes d’armes à feu.

PHOTO EVARISTO SA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des agents fédéraux inspectent un entrepôt où sont gardées des urnes électroniques qui serviront à l’élection présidentielle du 2 octobre, à Brasilia, le 21 septembre.

Rien pour plaire à Jair Bolsonaro, grand défenseur des armes. Depuis son élection en 2018, il a facilité l’accès aux fusils pour les chasseurs et tireurs sportifs, à l’aide d’une douzaine de décrets. Son fils, le député Eduardo Bolsonaro, a invité sur Twitter les Brésiliens en possession légale d’une arme à feu à s’engager comme bénévoles dans les campagnes de son père.

« [La défense de la possession d’armes à feu] est une chose construite par un mouvement d’extrême droite, qui est en réalité basée sur un mouvement aux États-Unis », explique au téléphone Ana Julia Bonzanini Bernardi, professeure agrégée à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo.

PHOTO FOURNIE PAR ANA JULIA BONZANINI BERNARDI

Ana Julia Bonzanini Bernardi, professeure agrégée à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo

Bolsonaro est souvent appelé le Trump des tropiques, et il y a une raison à cela. Il copie les tactiques de Donald Trump durant sa campagne et son mandat.

Ana Julia Bonzanini Bernardi, professeure agrégée à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo

Comme l’ancien président américain, Jair Bolsonaro s’est fait élire comme candidat hors du système politique, séduisant une frange conservatrice de la population avec son franc-parler et sa défense des armes à feu, associée à une idée de la virilité et de la liberté. C’est aussi un évangélique qui ponctue ses discours de références religieuses et se montre particulièrement dur envers les minorités ethniques, les médias, les femmes et la communauté LGBTQ+.

Désinformation

Si Bolsonaro est souvent comparé à Trump, c’est aussi pour la ferveur de ses partisans, méfiants des médias traditionnels et actifs sur les réseaux sociaux. Le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes a fait ouvrir des enquêtes sur l’actuel président pour désinformation.

« Les fausses nouvelles étaient vraiment un phénomène important durant l’élection de 2018, lorsque Bolsonaro a été élu au gouvernement », note Mme Bonzanini Bernardi, qui a publié un livre sur la désinformation durant la dernière campagne. Elle estime que les gens sont plus aguerris aujourd’hui. Des mesures ont aussi été mises en place pour contrer le phénomène de la désinformation.

Armée

PHOTO ERALDO PERES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président Bolsonaro, flanqué du commandant de l’armée de terre, le général Marco Antônio Freire Gomes, à Brasilia, lors du Jour de l’indépendance, le 7 septembre.

Le rôle des forces armées en cas de soulèvement populaire et d’émeutes suscite aussi des interrogations, 37 ans après la fin d’une dictature militaire. Jair Bolsonaro, ancien capitaine, compte des supporteurs dans les rangs.

« On ne sait pas si les militaires vont soutenir Bolsonaro ou pas », dit Pedro Benetti, chercheur au Centre pour l’étude de la violence de l’Université d’État de Rio de Janeiro. « Ce qu’on a entendu du ministre de la Défense, qui est très près de Bolsonaro, ce sont des doutes sur le système de vote. »

M. de Carvalho, lui-même ancien lieutenant, croit que l’armée « aura une réponse institutionnelle ». Il se questionne cependant sur ce qui pourrait arriver si les forces de sécurité n’arrivaient pas à contenir une foule violente : Jair Bolsonaro autorisera-t-il le recours à l’armée contre ses propres partisans ?

PHOTO EVARISTO SA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un partisan du président Jair Bolsonaro prend la pose sur un véhicule de l’armée brésilienne devant le palais de l’Aurore, résidence officielle du président, lors de la fête nationale, à Brasilia, le 7 septembre.

« S’il le fait, il fait entrer les militaires encore plus dans l’arène politique, ce pour quoi il est déjà critiqué, souligne-t-il. S’il ne le fait pas, il peut aussi être accusé d’abandonner la [sécurité] de la population. »

Au total, 12 candidats s’affrontent au premier tour, le 2 octobre. Si aucun ne récolte plus de 50 % des voix, un second tour aura lieu le 30 octobre.

« Le jour du vote sera très tendu, dans tous les cas, mais si nous avons un second tour, ce sera tout un mois d’octobre tendu au Brésil », lance M. Benetti.

Avec l’Associated Press et l’Agence France-Presse

La faim frappe les Brésiliens

PHOTO CARL DE SOUZA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Maria da Silva, une résidante de 58 ans d’Ibimirim, petite ville de l’État du Pernambouc, pleure alors qu’elle montre le frigo vide de la maison abandonnée dans laquelle elle vit avec sa famille de huit personnes, le 31 août.

La flambée des prix a durement frappé le Brésil. Plus de 33 millions de personnes souffrent aujourd’hui de la faim, incapables de se payer trois repas par jour.

« L’économie arrive vraiment en tête des préoccupations des Brésiliens dans les sondages », dit Pedro Benetti, chercheur au Centre pour l’étude de la violence de l’Université d’État de Rio de Janeiro.

La première économie d’Amérique latine avait été retirée de la « Carte de la faim » du Programme alimentaire mondial (PAM) en 2014. Un boom économique et des programmes sociaux avaient permis de sortir 30 millions de personnes de la pauvreté sous les gouvernements de Luiz Inácio Lula da Silva, aujourd’hui en tête des sondages, qui martèle l’échec en la matière de son opposant d’extrême droite, le président sortant Jair Bolsonaro.

Le pays a réintégré la carte du Programme alimentaire mondial (PAM) l’an dernier, alors que plus d’une personne sur quatre vit une « insécurité alimentaire modérée ou grave ».

« Toutes les inégalités sociales qui ont augmenté dans les quatre dernières années ont fait ressortir plusieurs peurs, estime Ana Julia Bonzanini Bernardi, professeure agrégée à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo. Le Brésil était vu comme un pays émergent, un pays de l’avenir, mais les Brésiliens ne le ressentent plus. »

PHOTO NELSON ALMEIDA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un enfant marche dans la favela de Roque Um, à Recife, grande ville du nord-est du pays, le 10 septembre.

La santé est aussi l’un des enjeux qui inquiètent les Brésiliens, alors que la COVID-19 a fait des ravages au pays, où plus de 685 600 personnes sont mortes et plus de 34,6 millions ont reçu un test positif. Le président Bolsonaro a nié la gravité de la COVID-19, la qualifiant de « petite grippe ».

Réseaux sociaux

Les candidats, et particulièrement Jair Bolsonaro, utilisent abondamment les réseaux sociaux pour relayer leurs messages. Environ 50 millions d’abonnés suivent le président sortant sur différentes plateformes.

Le Tribunal supérieur électoral s’est engagé dans une lutte contre la désinformation. Une tâche colossale dans un pays de 213 millions d’habitants.

Différents réseaux sociaux ont accepté de participer au combat contre la désinformation, qui reste difficile. Le journal O Globo a par exemple recensé récemment une trentaine de vidéos diffusant de fausses informations sur le réseau TikTok, comptant plus de 15 millions de vues.

La corruption, cheval de bataille qui a porté Jair Bolsonaro au pouvoir en 2018, n’est plus en tête des préoccupations des Brésiliens dans les sondages.

Bolsonaro essaie de ramener la corruption à l’ordre du jour, mais c’est difficile pour lui de jouer les discours antisystèmes, maintenant qu’il est le président.

Ana Julia Bonzanini Bernardi, professeure agrégée à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo

PHOTO CARLA CARNIEL, ARCHIVES REUTERS

Un manifestant tient un bol peint aux couleurs du drapeau brésilien, dans lequel on peut lire « Faim », lors d’une manifestation à São Paulo, le 7 septembre.

Dans un débat télévisé, il a accusé le gouvernement de Lula, au pouvoir de 2003 à 2010, d’avoir été « le plus corrompu de l’histoire du Brésil ». L’ancien président a été détenu pendant plus d’un an en 2018-2019, après une condamnation pour corruption qui a été annulée par la Cour suprême en 2021, qui a jugé de l’incompétence du premier tribunal.

Environnement

PHOTO ANDRE PENNER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La leader autochtone Sonia Guajajara montre ses mains peintes en rouge lors d’une manifestation pour dénoncer la violence dont est la cible sa communauté qui voit ses terres être le théâtre d’une activité minière et agricole illégale, à l’occasion de la Journée de l’Amazonie, à São Paulo, le 4 septembre.

Si l’environnement n’est pas la priorité pour la majeure partie des électeurs, la protection de l’Amazonie fait partie des thèmes chers aux opposants de Jair Bolsonaro. Pendant son mandat de quatre ans, la déforestation sur la partie brésilienne a augmenté de 75 % par rapport à la précédente décennie, alors qu’il a fait la promotion de l’activité minière et agricole dans des zones protégées.

Un enjeu particulièrement cher aux peuples autochtones, aussi victimes de plusieurs attaques meurtrières dans les dernières années.

Avec Agence France-Presse