(Mexico) La mort — encore inexpliquée — de la jeune Debanhi Escobar, 18 ans, réveille au Mexique des colères profondes envers les autorités accusées de négligences dans les enquêtes sur les assassinats et les disparitions de milliers de femmes chaque année.

Fait assez exceptionnel dans un pays qui compte près de 100 000 disparus au total : l’intérêt incessant des médias depuis une semaine dans la disparition de l’étudiante dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 avril près de Monterrey, la capitale industrielle du Nord.

Après douze jours de recherche, son corps a été retrouvé le jeudi 21 avril au fond d’une citerne jouxtant un motel en bord de route allant jusqu’à Nuevo Laredo, à la frontière avec les États-Unis.

PHOTO DANIEL BECERRIL, REUTERS

Virale, sa dernière photo - au bord de la route, seule dans la nuit, de profil, silhouette élancée et cheveux longs, bras croisés, sac à main en bandoulière, top blanc, longue jupe beige, chaussures Converse — est devenue l’emblème des manifestations féministes.

« Debanhi je te prête ma voix », « nous demandons justice » ont crié dimanche dernier des femmes à Mexico, après des manifestations dès vendredi à Monterrey.  

L’intérêt pour son histoire a dépassé les frontières du pays, du Pérou aux États-Unis. « Une femme disparaît au Mexique. Une parmi plusieurs milliers », résumait jeudi le New York Times en une ajoutant : « l’affaire ravive la colère envers l’inaction des autorités ».

Avant même la découverte du corps de sa fille, le père, Mario Escobar, a joué la carte des médias pour dénoncer les ratés dans la phase initiale des recherches.

« Cette affaire est plus visible que les autres parce que les médias en ont décidé ainsi », affirme à l’AFP Valeria Moscoso, experte en questions psycho-sociales, qui souligne que les plaintes d’autres familles de victimes n’ont pas eu le même écho.

Cette affaire résume toutes les tares de la justice dans les cas de disparitions de femmes, ajoute Mme Moscoso : « l’indolence des autorités, les complicités, la culpabilisation des victimes, la criminalisation des familles et l’impunité des agresseurs ».

Mercredi, en présence du père, le procureur général de l’État du Nuevo Leon a esquissé un mea culpa lors d’une conférence en annonçant la mise à l’écart de deux fonctionnaires du Parquet pour des « erreurs » et des « omissions ».

Les équipes de recherches sont par exemple passées plusieurs fois près de la citerne, mais ne découvriront le corps qu’au bout de 12 jours.

Dix féminicides par jour

Pendant cette même conférence de presse, le Parquet a présenté une vidéo pour tenter d’éclaircir les faits.

À 4 h 29 le samedi 9 avril, Debanhi errait seule au bord de la route, avant d’entrer dans l’enceinte du motel et de se pencher à la fenêtre d’un restaurant abandonné, d’après des images de vidéosurveillance.

Auparavant, la jeune femme aurait acheté une bouteille d’alcool dans un dépanneur avec deux copines, puis aurait quitté une fête après une dispute avec ses copines et d’autres jeunes, d’après des témoins et d’autres images de vidéosurveillance présentées par des télévisions.

La jeune femme est alors montée à bord d’un véhicule Didi — une application de service de transport à la demande — dont elle est par la suite descendue pour une raison inconnue, d’après plusieurs témoignages.

Dans cette affaire qui s’étale dans les médias, le chauffeur a nié sur un plateau de télévision les accusations d’un geste déplacé envers Debanhi portées par le père.

Le chauffeur affirme au contraire avoir voulu contacter ses amies et ses parents quand elle a décidé de descendre de sa voiture blanche, raison pour laquelle il a pris et partagé la fameuse photo de Debanhi au bord de la route.

« Il y a beaucoup d’hypothèses. Nous ne pouvons rien écarter », a déclaré le procureur Gustavo Adolfo Guerrero.

« Nous n’écartons aucune piste d’enquête », a admis le père, qui parlait dans un premier temps d’enlèvement et d’assassinat.

C’est paradoxalement cette mort, résultat d’un assassinat ou d’une chute accidentelle, qui a provoqué une rare colère contre les féminicides et les disparitions.

À Monterrey même, une jeune mère de famille, Yolanda Martinez, est portée disparue depuis le 31 mars dernier, d’après la presse mexicaine.

Au total 322 femmes ont disparu dans l’État de Nuevo Leon rien que depuis le début de l’année. « 90 % de ces disparitions se localisent dans les 72 heures », a minimisé le procureur.

En 2021, le Mexique a enregistré 33 308 homicides, selon les chiffres officiels. Près de 10 % des victimes sont des femmes. Les féministes dénoncent une moyenne de dix féminicides par jour.